Conférence prononcée au Colloque « Paroles d’enfants », Maison de l’UNESCO, Paris, le 17 décembre 2015, sur le thème de la reconnaissance.
On attend généralement d’un exposé d’ouverture à un colloque qu’il fixe des balises, qu’il permette d’y voir clair dans le thème proposé. Peut-être n’était-ce pas une très bonne idée, dès lors, de confier une telle mission à un philosophe – dont le métier est de déconstruire, de critiquer, d’introduire le doute et le trouble dans nos catégories de pensée ?
La reconnaissance constitue-t-elle vraiment, comme l’indique la brochure de présentation, « un besoin fondamental de l’être humain » ; ou n’est-elle qu’un idéal social propre à notre culture individualiste et concurrentielle ? Est-ce le manque de reconnaissance qui engendre souffrance et perte de confiance en soi, ou est-ce le manque de confiance en soi qui appelle le désir de reconnaissance ?
Pour ma part, je voudrais montrer que la reconnaissance est un concept « transitionnel » et « transitif », à double entrée ou plutôt à double sens : c’est par la reconnaissance, en étant reconnu, que l’être humain passe de la violence à l’émancipation, de l’aliénation à l’autonomie ; mais c’est aussi via la reconnaissance, en cherchant à se faire reconnaître, qu’il passe, dans l’autre sens, de l’affirmation de son autonomie à la violence – au mépris, à l’injustice envers autrui.
Cette conviction que la reconnaissance est ambivalente, transitionnelle, que nous devons penser le vivre ensemble par-delà la reconnaissance, ou à un niveau plus fondamental encore que la reconnaissance, n’est pas seulement le fruit de ma réflexion philosophique, mais provient aussi de l’expérience que j’ai acquise entre 2007 et 2013, période pendant laquelle j’ai mis ma carrière académique en veilleuse pour diriger le Centre pour l’égalité des chances[1] La lutte contre les discriminations raciales, homophobes et autres, m’a directement exposé à la question du déni de reconnaissance, mais m’a aussi montré les pièges dans lesquels s’enferment les acteurs sociaux quand ils font de la reconnaissance un but en soi.
Ce que je considère comme étant le but en soi de toute politique démocratique, c’est l’émancipation. Être émancipé, c’est être libéré de la tutelle, de l’emprise, de la mainmise (au sens propre) d’autrui. En latin, le mancipium est le geste de prendre par la main (un enfant par exemple) ; c’est aussi celui de mettre la main sur quelqu’un (ainsi un esclave). S’émanciper, c’est se libérer de cette mainmise. Non pas être libéré par la grâce du maître (comme dans l’Antiquité), mais se libérer soi-même, individuellement et collectivement. Libération qui n’est toutefois pas univoque, car la liberté est plurielle ; il y a plusieurs formes de liberté, selon la dimension de l’existence où l’on se situe. Je distingue la liberté « négative », la liberté « positive » et la liberté « radicale » [2] :
- La liberté « négative », c’est ce qu’on entend habituellement par liberté individuelle : liberté de pensée, d’association, de réunion, etc., bref liberté de faire ce que je veux pour autant que je n’empiète pas sur la liberté d’autrui : « la liberté de l’un s’arrête là où commence celle des autres ». C’est une liberté « non-interférence » : ni l’État ni autrui, aucun pouvoir ne peut interférer dans mes choix, aussi discutables soient-ils sur le plan moral. Que je décide de passer mon week-end à m’abrutir devant la télévision, à faire du sport, à lire Madame Bovary, ou à travailler du matin au soir, c’est mon affaire. « Ma » liberté, c’est ma propriété, ce qui m’appartient en propre (ainsi quand les féministes proclament : « mon corps m’appartient »). Cette liberté négative (au sens où ma liberté résulte d’une frontière, d’une limite) est un des acquis inestimables de la modernité.
Le mérite du « libéralisme » est d’avoir « découvert » la liberté en ce sens « propriétaire » » ; mais son erreur a été (et est toujours) de croire que la liberté se réduit à cette seule forme négative.
- La liberté « positive, » se distingue de la liberté négative en ce qu’elle consiste, non pas en une absence d’entraves, mais « à être son propre maître », à vivre sa vie de manière autonome au sens propre : poser soi-même ses propres normes, faire ses choix d’existence en toute responsabilité. Passer son week-end à s’abrutir devant la télévision ou à se tuer à la tâche parce qu’on n’arrive pas à joindre les deux bouts, ce n’est pas « être son propre maître ». Par contraste avec la liberté non-interférence, il faut parler ici de liberté non-domination. Être libre « positivement », c’est : ne pas être opprimé, manipulé. La non-domination, c’est autre chose que la non-interférence : c’est s’émanciper des forces économiques ou idéologiques qui me conditionnent à un autre niveau que le niveau juridique – un niveau social, historique, souvent indépendant de ma volonté, voire de ma conscience. Tel est ce qu’on pourrait appeler « l’autre scène » du politique : celle des conditions matérielles, historiques dans lesquelles les hommes vivent, auxquelles ils ne peuvent échapper mais qu’ils peuvent essayer de maîtriser, réguler, voire transformer ;
- Il y a enfin ce que j’appelle la liberté « radicale » : c’est la liberté de « se transformer soi-même », de ne pas rester prisonnier de son propre Moi. La mainmise dont il s’agit de se libérer ici, c’est celle que j’exerce sur moi-même (« Surmoi » : c’est le terme que Freud emploie pour désigner cette instance du psychisme qui exerce son emprise sur le sujet depuis son inconscient même). L’émancipation se joue sur une scène plus profonde encore que la scène souterraine des conditions historiques objectives : celle de mon désir, de mon inconscient. La liberté radicale, ce n’est pas le sujet qui affirme son identité, mais qui se désidentifie, qui fait l’expérience d’un travail de soi sur soi, d’une différence de soi à soi qui lui permet de se réinventer …
La question politique de la liberté ne se joue donc pas dans une seule dimension, sur une seule scène, mais dans trois dimensions, sur trois scènes : la scène de la politique, du droit, des institutions – mon rapport avec les autres (liberté négative) ; la scène de l’histoire, des conditions matérielles objectives de l’existence – mon rapport avec le monde (liberté positive) ; la scène des identités, des conditions subjectives de l’existence – mon rapport avec moi-même (liberté radicale).
Bien sûr, nous sommes toujours aux prises, de quelque façon, avec la non-liberté : l’interférence, la domination, l’aliénation. C’est même notre état initial : quand nous naissons (inachevés, immatures, comme on sait), nous sommes totalement sous l’emprise et la mainmise de ceux qui prennent soin de nous. L’émancipation se fait progressivement, et elle est sans fin : c’est une dynamique, non un état.
La violence n’est rien d’autre que l’interruption de cette dynamique : une emprise – mais une emprise telle qu’elle anéantit toute résistance, toute capacité pour le sujet de bouger, de se dégager, de protester. La violence, c’est bien connu, échappe à toute catégorisation : il y a des violences physiques (meurtre, torture, viol), mais aussi des violences psychologiques (harcèlement, humiliation) ; il y a de la violence dans la brutalité et la soudaineté d’événements traumatiques (comme les attentats du 13 novembre), mais aussi dans la répétition indéfinie de dominations invisibles ou indiscernables (comme la domination domestique ou l’exclusion des handicapés ou des malades mentaux). Mais dans tous les cas, il y a anéantissement de la résistance. Tant que je peux, dans quelque rapport de forces asymétrique, résister au pouvoir (de mon patron, de mon mari, d’une institution, de l’État, etc.), je peux échapper à la violence. La violence commence dès lors que l’on m’ôte tout droit et toute possibilité réelle, concrète de résister.
La violence, c’est donc la désémancipation par excellence : non pas simplement l’interférence, la domination ou l’aliénation – qui sont inéliminables, mais l’impossibilité de résister à l’interférence, la domination ou l’aliénation. Or je voudrais maintenant montrer que la reconnaissance fonctionne dans les deux sens, en direction de l’émancipation comme en direction de la violence – et c’est bien en cela qu’elle est profondément ambivalente.
- Enfant, mon émancipation commence par la reconnaissance : on me donne un nom qui me situe et me singularise ; on me répond quand je parle : je gagne en autonomie à mesure que je me socialise ;
- Dans la sphère économique, l’émancipation des travailleurs a commencé avec le droit de grève – droit de résister, de revendiquer, de s’organiser en syndicats, avant que ceux-ci ne soient reconnus comme interlocuteurs à part entière (« partenaires sociaux ») ;
- Dans la sphère juridique, la justice commence par la prise en compte de la parole des victimes. Ce qui avait profondément choqué l’opinion publique lors de « l’affaire Dutroux » en Belgique fin des années 90, c’est que les familles des victimes avaient été ignorées par le système judiciaire, au point qu’elles n’avaient même pas accès au dossier (alors que les inculpés y avaient droit). Il n’y a pas de justice possible sans reconnaissance du tort infligé à la victime.
Dans les trois cas, la reconnaissance a été vectrice d’émancipation. Mais inversement :
- Tel enfant cherche éperdument l’approbation de ce père qu’il admire mais qui est si froid, si distant. Ce qui alimente le désir de reconnaissance de cet enfant, n’est-ce pas cette distance même, cette souveraineté, cette position de surplomb et d’emprise où ce père semble se tenir ?
- Dans la sphère du travail, nous savons tous ce qu’il en est de la lutte pour la reconnaissance entre collègues, même (surtout ?) lorsque l’enjeu « matériel » est nul ou faible. Les promotions dans le corps académique à l’université en sont un bel exemple. La compétition a ici lieu entre des professeurs qui sont tous nommés, avec des salaires confortables et une charge d’enseignement déjà fixée. Il y a certes un enjeu pécuniaire, mais il est marginal ; tout se joue en fait au niveau symbolique : se voir conférer (en Belgique) le titre de « Professeur Ordinaire » réservé aux 20-30% réputés les meilleurs. C’est la compétition la plus sanglante que vous puissiez imaginer, où toutes les intrigues, tous les coups sont permis pour avoir le dessus sur ses concurrents ! Un Professeur de mon Université, qui venait d’être promu, s’est fendu d’une lettre au Recteur non pour le remercier, mais pour s’offusquer de ce que son collègue Untel, qu’il tenait pour un parfait imbécile, ait été promu en même temps que lui – ce qui anéantissait à ses yeux la distinction qu’il recherchait à travers cette course à la reconnaissance ;
- Quant au droit des victimes dans les procédures judiciaires, il est heureux qu’il ait été renforcé, mais l’effet pervers en fut une multiplication des contentieux judiciaires, une augmentation des temps d’incarcération, et parfois même de terribles erreurs judiciaires. « L’affaire d’Outreau » en France, c’est en grande partie le résultat d’une reconnaissance précipitée de la parole des victimes – ou prétendues telles. Quand on fait dépendre le travail de deuil de la victime de la condamnation des coupables, ou encore quand on implique les victimes dans le suivi de la peine, est-ce qu’on n’enclenche pas un mécanisme sans fin, où la reconnaissance sociale risque de ne jamais suffire à épuiser la dette[3]?
Chaque exemple permet de pointer une dimension négative de tout processus de reconnaissance :
- le premier cas (celui de l’enfant) montre que la reconnaissance suppose au préalable que le sujet reconnaisse l’instance qui va le reconnaître, qu’il l’investisse d’un pouvoir quasi magique de le faire exister. Attendre une gratification de son parent, de son patron ou de son institution, c’est se mettre soi-même sous la dépendance psychique de l’autorité à laquelle on adresse cette demande – j’intériorise alors le pouvoir qu’elle exerce sur moi ;
- le second cas (celui des promotions académiques) montre que la demande de reconnaissance n’est pas toujours, et sans doute pas originairement, une demande d’égalité avec autrui, mais au contraire une demande de distinction : je veux sortir de la moyenne, maximiser mon capital symbolique (la sociologie de Pierre Bourdieu n’est rien d’autre que l’analyse et la critique des stratégies des acteurs pour se faire reconnaître dans leur champ social) ;
- le troisième cas enfin (celui des victimes) montre qu’une demande de reconnaissance est potentiellement sans fin, puisqu’elle naît d’un besoin, d’un désir ancrés dans le sujet lui-même, et dont lui seul a la clé.
Cette ambivalence des processus de reconnaissance, j’en ai fait l’expérience très concrète à travers la lutte contre les discriminations. La leçon que je retiens de ces 6 années, c’est que la lutte antidiscrimination doit rester centrée (comme son nom l’indique, du reste) sur la lutte contre les auteurs et les mécanismes discriminatoires, et non sur la reconnaissance des victimes. Pourtant, un tropisme presque naturel consiste à assimiler une discrimination subie (par un musulman, un homosexuel, etc.) à un déni de reconnaissance de son identité (de musulman, d’homosexuel, etc.). Voilà qui induit au moins deux conséquences fâcheuses :
- d’abord, ce qu’on pourrait appeler l’obligation identitaire[4]: si je me plains d’avoir été discriminé en tant que Noir ou juif, ne suis-je pas obligé de m’identifier à la communauté noire ou juive ?
- ensuite la concurrence victimaire, qui n’est pas un mythe : les victimes ont intérêt à exhiber leurs souffrances, afin d’obtenir l’avantage différentiel qui leur permettra de bénéficier de soutiens spécifiques[5]. Résultat : chaque communauté a toujours le sentiment d’être moins bien défendue que les autres, c’est-à-dire moins reconnue dans son identité propre. Luttez contre l’antisémitisme, et vous vous exposez au reproche de ne rien faire pour la communauté musulmane, et vice et versa … Comme si lutter contre l’antisémitisme, c’était reconnaître l’identité juive, ou lutter contre le racisme anti-arabe, reconnaître l’identité arabe.
C’est pourquoi pour ma part, j’ai toujours essayé de dissocier la lutte contre les discriminations de la lutte pour la reconnaissance, autrement dit de recentrer la lutte contre les discriminations sur … la lutte contre les auteurs de discriminations (tel patron qui discrimine, tel « humoriste » qui incite à la haine)[6]. Par-delà même les auteurs individuels de discriminations, la véritable cible des dispositifs antidiscriminations, selon moi, ce sont les mécanismes discriminatoires systémiques, enfouis dans les structures sociales et les stéréotypes culturels. Dans la même logique, j’ai toujours pensé que les politiques spécifiques qu’on pouvait mettre en place en faveur de tel ou tel groupe cible (par exemple les personnes handicapées ou les quartiers en difficulté) ne devaient jamais être déconnectées des politiques généralistes en faveur de la justice sociale.
Nous devons donc tout autant nous méfier du désir de reconnaissance que du manque de reconnaissance – le désir et le manque s’alimentant réciproquement.
Je suis impatient d’entendre Farhad Khosrokhavar, qui s’exprimera après moi au sujet de ces jeunes de banlieues (ou des quartiers en Belgique) « radicalisés » ou « djihadistes ». Le terreau de la radicalisation violente, évidemment, c’est le manque de reconnaissance, le sentiment d’indignité qu’éprouvent ces jeunes exclus – sentiment qui se transforme en haine de la société. Mais si ces jeunes basculent dans le djihadisme et parfois le terrorisme, c’est aussi parce que les groupes fanatiques leur promettent d’accéder à une reconnaissance hyperbolique. Ils jouent sur le désir de tout sujet d’obtenir non pas simplement l’approbation mais l’admiration d’autrui, la confirmation de sa propre excellence ou supériorité – et ces groupes jouent aussi sur le fait que certains, surtout chez les jeunes, sont prêts à tout pour l’obtenir, jusqu’à se trahir eux-mêmes et revêtir une identité mimétique, une identité de substitution dans laquelle ils acceptent de se perdre[7].
Le titre de ce colloque est : « Du rejet à la confiance. De l’injustice à la dignité. Du mépris à l’estime … En passant par la reconnaissance ». Mais comme on le voit, la reconnaissance est bidirectionnelle : la reconnaissance aide le sujet à passer du rejet à la confiance, de l’injustice à la dignité, du mépris à l’estime ; mais le désir de reconnaissance est aussi le ressort qui, symétriquement, fait passer le même sujet de la confiance au rejet de l’autre, de sa dignité (réelle ou fantasmée) à l’injustice, de l’estime au mépris envers autrui. La reconnaissance est ce qu’on appelle en grec un « pharmakon », à la fois remède et poison.
C’est dans cette perspective critique que j’envisage les théories de la reconnaissance qui font florès aujourd’hui en philosophie politique, et notamment celle du philosophe allemand Alex Honneth. (Je n’ignore pas celles de Charles Taylor, de René Girard, etc., mais vous me permettrez de m’en tenir à celle de Honneth, la plus aboutie et la plus connue)
Le mérite incontestable de Honneth, c’est de nous rappeler que les conflits sociaux ne sont pas le résultat d’une mécanique sociale objective, anonyme (sur le modèle de la lutte des classes telle est conçue par un certain marxisme, c’est-à-dire comme une nécessité historique, une dialectique). Non, proteste Honneth, le ressort de ces luttes est toujours moral : l’indignation, l’exigence de dignité, le désir de reconnaissance. Honneth réintroduit à juste titre de l’éthique dans la politique, en se fondant sur toute une tradition philosophique qui remonte à Hegel)[8].
C’est d’ailleurs à Hegel que Honneth emprunte l’idée selon laquelle il y aurait trois modes distincts de reconnaissance :
- la reconnaissance affective qui prend la forme de l’amour, et dont j’ai besoin pour prendre confiance en moi;
- la reconnaissance juridique qui prend la forme du respect égal des droits, dont j’ai besoin pour me considérer comme citoyen à part entière;
- la reconnaissance sociale qui prend la forme du mérite, dont j’ai besoin pour m’estimer moi-même à ma juste valeur
Trois modes de reconnaissance qui correspondent aux trois sphères de la famille, du droit et du travail (et qui, chez Hegel, forment ensemble ce qu’il appelle la Sittlichkeit, disons la civilité, le monde commun) (trois sphères identifiées par les organisateurs du colloque[9]). Par contraste, Honneth montre combien notre société est une « société du mépris », où le plus grand nombre souffre de manque de reconnaissance : sévices dans la sphère familiale ; discriminations dans la sphère du droit ; inégalités dans la sphère économique[10].
La théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth a fait l’objet de très nombreux débats. J’épingle trois critiques principales.
La première consiste à se demander si l’on peut vraiment regrouper sous un concept unique (celui de reconnaissance) des demandes qui sont de natures très différentes :
- sur le plan juridique, la demande est bien celle d’une égalité, d’une réciprocité de droits entre tous les citoyens ;
- mais sur le plan économique, il en va autrement : ce que je demande, c’est d’être reconnu selon mon mérite, c’est-à-dire qu’on me distingue de ceux qui sont moins bons, moins productifs, moins formés, etc. L’expérience suivante a été menée par des psychologues : ils ont demandé à des travailleurs ce qu’ils préféraient : votre salaire augmente de 50%, tandis que vos collègues restent à leur salaire de départ ; ou votre salaire augmente de 100%, mais tous vos collègues gagnent le double de vous (tous: y compris la secrétaire nunuche de 23 ans, votre voisin de bureau qui est un tire-au-flanc, etc.) ? Une large majorité des sondés préfèrent … la première option : l’augmentation de 50%, mais qui respecte la hiérarchie, le mérite, plutôt que l’augmentation de 100%, pourtant « objectivement » plus intéressante pour l’individu, mais perçue comme socialement « injuste ». Preuve que l’essentiel dans le salaire est la reconnaissance de notre valeur par comparaison avec les autres.
- Sur le plan affectif, enfin, c’est encore plus flagrant : la reconnaissance que nous exigeons, c’est d’être préféré, et même exclusivement préféré. Je n’attends pas de ma femme qu’elle m’aime à égalité avec les autres hommes, j’attends qu’elle n’aime que moi ! Père de trois enfants, je ne répartis pas mon amour entre mes enfants comme des salaires, selon le « mérite » de chacun ; je les aime chacun absolument ; chacun est mon/ma préféré.e dans la singularité de la relation que j’ai avec lui / elle.
Comme on le voit, les trois formes de reconnaissance fonctionnent de façon presque antinomique (réciprocité – proportionnalité – préférence), au point qu’on peut douter qu’il soit possible de les subsumer sous un concept unique.
La deuxième grande critique, déjà formulée, c’est qu’il est très problématique de faire dépendre notre identité (ce que nous sommes à nos propres yeux) de la reconnaissance par les autres. C’est donner à autrui un pouvoir immense sur mon existence, ce que Sartre a résumé d’une formule ultra-connue : « l’enfer, c’est les autres ». L’enfer, c’est quand mon identité, ma conscience sont entièrement conditionnées par le regard d’autrui qui en fait ainsi littéralement sa « chose »[11].
Enfin, troisième objection à Honneth : toutes les demandes de reconnaissance ne sont pas « objectivement » légitimes, ni équivalentes.
- Il est clair que l’exigence du jeune djihadiste d’être reconnu comme un martyr (même si elle « s’explique » peut-être sur le plan sociologique) est une exigence moralement non légitime, et même pathologique ;
- Inversement, que fait-on des cas où les individus ne formulent aucune demande de reconnaissance, alors même qu’ils se trouvent « objectivement » aliénés et dominés ? Ce sont des cas que j’ai aussi rencontrés dans le cadre de la lutte contre la traite les êtres humains : parfois, les victimes de la traite ne veulent pas se plaindre, parce qu’elles estiment que la vie qu’elles mènent ici, à travailler dans un atelier clandestin pour 500 € par mois sans protection sociale, est bien meilleure que celle qu’elles menaient dans leur pays d’origine – elles ne vivent pas subjectivement comme une injustice ou un déni de reconnaissance ce qui est pourtant objectivement et juridiquement le cas.
C’est pourquoi je crois qu’une théorie de la reconnaissance ne suffit pas, et que nous avons besoin d’une théorie de la justice, c’est-à-dire d’une théorie plus englobante, qui intègre les demandes « subjectives » de reconnaissance avec les exigences plus « objectives » de redistribution. C’est ce qu’a tenté de faire la philosophe américaine Nancy Fraser avec sa théorie dit « dualiste » de la justice, qu’on peut résumer comme suit : reconnaissance + redistribution = « parité de participation »[12].
Prenons le cas de la lutte pour l’égalité femme/homme : selon Fraser, une telle lutte doit combiner une politique de redistribution (par exemple s’attaquer à l’écart salarial, de plus de 15%) et une politique de reconnaissance (par exemple déconstruire les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires) – il faut la combinaison des deux pour arriver à la parité de participation, que Fraser entend de façon très large, non seulement comme l’égalité de droits et d’accès à la délibération politique, mais aussi comme égalité de rémunération pour un travail égal ou encore comme répartition équitable du travail domestique entre les sexes.
Pour Fraser, il faut en quelque sorte inverser le schéma de Honneth : pour ce dernier, c’est la reconnaissance (et l’estime de soi qui en découle) qui est la condition me permettant de participer à la vie en société ; pour Fraser, au contraire, c’est la parité de participation qui est la condition qui me permettra d’être reconnu et de gagner une certaine estime de moi-même.
Je crois que Fraser a raison. Mais de ce fait, elle soulève une exigence qu’il vous paraîtra peut-être étrange d’introduire ici : l’exigence de fraternité. Je crois que la lutte contre les discriminations ou les inégalités suppose un lien de fraternité ou de solidarité préalable, un sentiment de vivre dans un monde commun. Et je me demande si l’inflation actuelle des demandes de reconnaissance n’est pas le symptôme que nous avons de moins en moins le sentiment de vivre dans un monde commun.
Car il y a une question que l’on ne peut éviter, par laquelle je voudrais conclure mon propos : pourquoi et comment le thème de la reconnaissance a-t-il envahi le champ des sciences humaines et du travail social ? Quand on prend un peu de recul historique, un double constat s’impose :
- La question de la reconnaissance est ignorée avant la modernité. La première thématisation philosophique, on la trouve chez Thomas Hobbes au XVIIe siècle, puis chez Hegel (déjà cité) au XIXe siècle.
- La reconnaissance ne devient un thème dominant qu’à partir des années 80 et 90, c’est-à-dire quand le néolibéralisme s’impose partout dans le monde. Pour moi, c’est tout sauf un hasard.
Dans les sociétés « prémodernes », la reconnaissance est une question qui ne se pose pas en tant que telle. Pourquoi ? Parce que dans les sociétés traditionnelles, fortement hiérarchisées, on reconnaît un individu à son statut social, qui est fixé par avance – c’est ce statut qui lui confère plus ou moins de dignité, d’excellence. Dans ce type de société, l’individu n’a pas de droits du simple fait d’être un individu, mais en fonction de son appartenance à telle communauté, telle corporation, etc., et aussi (et surtout), je le répète, en fonction de la place qu’il occupe dans la hiérarchie sociale telle qu’elle a été voulue par les dieux ou Dieu (et en fait, dans ces sociétés théologiques, c’est de Dieu que le sujet attente reconnaissance, seul Dieu peut me reconnaître … L’idée d’une égalité de droits entre les humains est ici tout simplement impensable. Même dans la démocratie athénienne, où je rappelle que l’égalité de droits, l’isonomia, ne concernait que 10% de la population, à l’exclusion des femmes, des étrangers et des esclaves. La reconnaissance n’existe dans les sociétés traditionnelles que sous la forme de l’éthos aristocratique : l’honneur, l’excellence, associées à la virilité et à une certaine pureté de la lignée et du sang.
Avant la modernité, la reconnaissance n’a donc pas de valeur sociale, elle ne se manifeste qu’à l’intérieur des hiérarchies qui structurent la société perçue comme un tout organique.
Tout change avec la modernité – c’est-à-dire avec la conscience que les hommes sont foncièrement égaux, et que les hiérarchies sociales sont des constructions historiques contingentes. Tout change, car cela signifie que désormais, ma dignité n’est plus donnée avec mon statut social : je dois maintenant lutter en tant qu’individu pour faire reconnaître, par les autres, ce que je suis.
C’est exactement cette lutte que le philosophe anglais Thomas Hobbes décrit en 1651 dans Le Léviathan. Hobbes imagine les hommes dans un « état de nature » avant l’institution de l’État, c’est-à-dire tels qu’ils se comportent spontanément. Cet état de nature, dit Hobbes, est un état de guerre – une guerre de tous contre tous. Mais cette guerre n’est pas la guerre réelle (qui suppose des États déjà formés), ni même la guerre civile ; cette guerre, c’est la lutte pour la reconnaissance : à l’état de nature, « chacun cherche à s’assurer qu’il est évalué par son voisin au même prix qu’il s’évalue lui-même »[13], si bien, poursuit Hobbes, que « la compétition pour les richesses, l’honneur, le commandement conduit à la lutte, à l’hostilité et à la guerre ; il en est ainsi parce que, pour satisfaire son désir (= de reconnaissance), le moyen dont dispose un concurrent est de tuer, de soumettre, de supplanter ou d’éliminer l’autre »[14]. Et c’est bien parce que cette lutte est sanglante et sans fin qu’il faut y mettre un terme par l’institution de l’État qui est ce Tiers juridique et politique dont la fonction est de s’interposer entre les individus et d’assurer leur sécurité.
L’autre grand penseur de la lutte de la reconnaissance, Hegel, pense lui aussi que le processus de reconnaissance a quelque chose de mortifère quand il se déroule dans une relation duelle, mimétique. Cette théorie est connue sous le nom de « dialectique du Maître et de l’Esclave » – dans la lutte pour la reconnaissance, il y a toujours un gagnant et un perdant, l’un qui est reconnu et l’autre qui est « reconnaissant ». Pour Hegel (comme pour Hobbes), il faut sortir de cette dialectique mortifère par la médiation d’un Tiers qui est la société elle-même dans ses trois composantes : la famille, le marché économique et l’Etat.
Tel est donc le paradoxe de la conscience moderne : désormais, l’idéal du Moi n’est plus l’excellence, l’honneur, que je peux prouver par mes actes (courage, bravoure) ; c’est l’authenticité, la singularité qui ne peuvent être qu’attestées (ou non) par autrui.
Une reconnaissance mutuelle des individus serait-elle dès lors impossible ? Non, mais elle ne peut prendre que la forme de la solidarité, d’une identité citoyenne commune qui nous donne le sentiment tangible que nous appartenons au même monde. Or précisément : la solidarité, la citoyenneté, le bien commun, n’est-ce pas ce qui fait défaut depuis que le néolibéralisme s’est imposé dans les années 80 et 90 ? Ce n’est pas un hasard si le thème de la reconnaissance est devenu un paradigme explicatif et normatif « dominant » depuis une trentaine d’années tout au plus. Dans les années 60 ou 70, je pense qu’un colloque comme celui-ci n’aurait pas été pensable. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Ce qui s’est passé, c’est la déstructuration des solidarités que l’État social avait réussi à mettre en place depuis – disons 1945. La société des « Trente glorieuses » était une société assez injuste, mais fortement intégrée et sécurisée. Le modèle de justice sociale était alors (pour reprendre une expression du sociologue François Dubet) celui de « l’égalité des places » : chacun avait une place dans la société (à commencer par un emploi stable) – une place assortie de protections fortes en cas d’accident de la vie. L’Etat social, c’est la démarchandisation des plus vulnérables (chômeurs, malades, âgés). Les différences de classes et de statuts subsistaient, mais protégeaient aussi. Cette société fonctionnait un peu comme un escalator : tout le monde restait sur sa marche, mais tout le monde montait. Et puisque l’État protégeait dorénavant directement les individus, ceux-ci ont pu se désencastrer, s’émanciper des hiérarchies et des appartenances (patriarcat, religion, etc.). C’est ainsi, entre autres, que l’égalité femme/homme a été promue. La conséquence psychologique, ce fut, pour la grande masse des individus, un sentiment qui aujourd’hui fait cruellement défaut : la confiance dans l’avenir, le sentiment que « demain sera meilleur », que « nos enfants vivront mieux que nous »[15].
À partir des années 80, le néolibéralisme impose la mise en concurrence généralisée des individus et des États. Toute activité est évaluée à l’aune de la seule rentabilité. C’est le règne du darwinisme social, de la « sélection naturelle » des plus performants (et/ou des plus dociles), ce qui enclenche une inversion de la dynamique sociale : une remarchandisation des acteurs socio-économiques les plus fragiles, avec comme corollaire un réencastrement des individus dans les identités et les appartenances. Dans les termes de François Dubet, « l’égalité des places » s’efface au profit de « l’égalité des chances » – expression problématique quand on y songe, car en disant que tous les individus doivent avoir les mêmes chances d’ascension sociale, on avalise l’idée que la vie sociale est une compétition, que nous sommes tous en concurrence pour les meilleures places. La société n’est plus un escalator, c’est une jungle – ou une loterie.
Notre monde est un monde de violence, de l’anéantissement de la résistance qui peut prendre des formes « objectives », structurelles, celle par exemple du capitalisme quand il traite les êtres humains comme des « hommes jetables », qu’on utilise quand on en a besoin mais qui sont jetés, poubellisés quand ils ne sont plus utiles[1] ; mais aussi des formes « subjectives », comme le racisme qui fait de l’autre un homme en trop, pas à sa place, un corps étranger qui menace mon identité et mon intégrité au point que je veuille l’expulser, l’extirper[16].
Nous ne devons pas oublier que le thème de la reconnaissance émerge historiquement et logiquement dans ce contexte-là. Logiquement, car en l’absence de toute stabilité, de toute protection, les inégalités se multiplient et se fractionnent. Cette longue cascade d’inégalités, nous y tenons en fait, parce qu’elle seule nous procure une position, une dignité. C’est le paradoxe de l’homogénéisation des goûts et des pratiques (aujourd’hui, le bourgeois va à un concert de Madona comme l’ouvrier va au Musée du Louvre) : en raison de cette homogénéisation, il importe d’autant plus de se démarquer. Parce qu’elles ne sont plus structurées par un ordre stable, les stratégies de distinction se sont accentuées. Chacun cherche à s’assurer d’une inégalité symbolique qui le singularise comme personnalité. C’est la logique de ce que Freud appelait « le narcissisme des petites différences » : c’est dans les petits écarts, par rapport à ce qui m’est le plus proche (mon collègue, mon voisin) que je cherche mon originalité, mon authenticité. Le livreur de pizza qui gagne 1.200 € par mois ne va pas s’offusquer du salaire de la vedette de football qu’il admire et qui gagne, lui, 1 million € par mois, mais il va jalouser les petits avantages en nature de tel collègue, se comparer à tel autre qui a un CDI, alors que lui a un CDD, etc.
C’est parce que les acteurs sociaux sont nus, livrés à eux-mêmes dans un univers de concurrence généralisée, que la reconnaissance devient, selon la brochure de ce colloque, « un besoin fondamental » – ou disons : un besoin d’autant plus fondamental, vital, que les liens de solidarité et de fraternité se sont dénoués.
Je n’éprouve aucune nostalgie de la société prémoderne, ni de la société industrielle des années 60 ou 70. Je ne préconise aucun « retour à » … Mais je demande qu’on ne réfléchisse au fait que la condition première de toute socialisation, de toute humanisation, « avant » même la reconnaissance, c’est la solidarité (que j’appelle ici, un peu naïvement peut-être, la fraternité). Si les acteurs sociaux ne sont pas unis au préalable par des liens de solidarité, de civilité, de fraternité, on peut craindre que nos demandes compulsives de reconnaissance ne se referment sur nous comme un piège … Ce qui s’est exprimé dimanche dernier dans le vote massif pour le Front national, n’est-ce pas une demande éperdue, paniquée de reconnaissance (« reconnaissez-nous, nous qui sommes devenus invisibles, méprisés, oubliés ! ») – une demande qui prend la forme mortifère du rejet de l’autre (de l’immigré et du musulman), dans un univers social de désolation …
Comment restaurer la solidarité dans le monde d’aujourd’hui qui est un monde global ? Question gigantesque, abyssale, mais dont on peut toucher, je crois, la vérité essentielle, à savoir qu’il y a quelque chose de plus profond, pour deux individus, que le fait de se reconnaître l’un l’autre : c’est le plaisir d’être ensemble, de partager quelque chose en commun[17]. Lorsque ce plaisir n’existe plus, les choses deviennent vite très difficiles entre les humains.
Vous qui êtes pour la plupart des professionnels de l’enfance et de la famille, vous savez que la toute première reconnaissance, celle qui salue notre naissance et même la précède, est très particulière : elle est sans conditions. Pour des parents, s’occuper de leur enfant n’est pas une obligation, ce n’est même pas un acte moral. Prendre soin de son enfant par devoir, c’est inquiétant. Avant toute obligation réciproque, il y a le plaisir mutuel à vivre la relation. C’est sur fond de ce plaisir mutuel, et dans ses absences, ses creux, que surgissent les demandes de reconnaissance, et donc aussi les dénis de reconnaissance, avec leur cortège de troubles et de crises. Sans doute est-ce pour vous une évidence, mais elle est de première importance à l’ouverture de ce colloque sur la reconnaissance : quelque chose précède la reconnaissance, quelque chose doit précéder la reconnaissance, qui est la simple coexistence, l’être ensemble vécu associé à un plaisir partagé. Avant tout désir de reconnaissance, il y a le sentiment d’exister (« être ou ne pas être ») ou plus exactement (je le répète) de coexister, d’être en contact sensoriel avec l’autre, le goût des aliments, la voix, le toucher.
En vérité, il y a ici l’esquisse d’une politique – d’une politique de l’amitié. Car s’il y a bien un type de relation où les intrigues de la reconnaissance n’ont pas leur place, c’est dans l’amitié, qui est un pur plaisir d’être ensemble, de partager quelque chose en commun : un repas, un voyage, un match de tennis, etc. Entre amis, il y a toujours du tiers, des supports d’être ensemble – or le tiers, c’est la condition de toute politique. D’où mon insistance à dire que la reconnaissance est un concept transitif (du mépris à l’estime, mais aussi de l’estime au mépris) et transitionnel (de A à B et de B à A), mais qui doit être dépassée par la triangulation, la présence d’un tiers. Nous ne pouvons nous reconnaître les uns les autres qu’à travers le sentiment d’exister dans un monde commun. Investir tout notre désir d’exister dans le désir de reconnaissance, c’est nous condamner aux effets destructeurs d’un désir mimétique. Réinscrire notre besoin de reconnaissance dans le plaisir d’être ensemble, c’est donner une véritable chance à l’émancipation.
[1] Le Centre pour l’égalité de chances est une institution publique belge indépendante qui a pour mission la lutte contre les discriminations et la défense des doits fondamentaux des étrangers. Sur sa première mission, il correspond à peu près, en France, à ce qui s’appelait auparavant la HALDE (devenue une composante du « Défenseur des Droits »). Le Centre a (malheureusement) vu ses missions scindées en deux institutions.
[2] J’ai développé ce point dans un livre écrit à destination de mes étudiants, et donc accessible aux non-philosophes, De l’homme et du citoyen. Une introduction à la philosophie politique, De Boeck, 2014.
[3] Patrick Pharo, « Les ambiguïtés de la reconnaissance », in Alain Caillé & Christian Lazzeri (éds.), La reconnaissance aujourd’hui, CNRS Editions, 2009, p.400.
[4] François Dubet, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, Seuil, 2010, p.77.
[5] Ibid.
[6] De même au sujet de la loi qui prohibe le négationnisme (loi Gayssot en France) : on se trompe en parlant de loi mémorielle, qui en ferait une forme de reconnaissance des victimes de la Shoah (et plus largement, de la communauté juive), alors qu’il s’agit d’une loi qui s’attaque à une forme perverse d’antisémitisme. Le négationnisme est d’ailleurs défini, non pas à partir du point de vue des victimes juives, mais à partir des criminels nazis (« il est interdit de nier, banaliser, minimiser grossièrement le génocide commis durant la Seconde Guerre mondiale par le régime national-socialiste »).
[7] Elena Pulcini, « Pathologies de la reconnaissance », in Alain Caillé & Christian Lazzeri (éds.), La reconnaissance aujourd’hui, CNRS Editions, 2009, p.404.
[8] Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance (1992), Cerf, 2000.
[9] Page 2 de la brochure, on évoque « la sphère familiale » (parents en difficulté, violences intrafamiliales), « la vie sociale » (sans-papiers, minorités, etc.) et « la vie professionnelle » (à travers ce que vivent les professionnels de l’aide et du soin).
[10] Axel Honneth, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, La Découverte, 2006.
[11] Contrairement à ce qu’on croit, ce constat déceptif n’était pas le dernier mot de Sartre, qui pensait que des rapports authentiques entre les hommes étaient possibles – mais pas dans une société de classes et d’inégalités.
[12] Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, 2005.
[13] Thomas Hobbes, Le Léviathan, chap. XIII, trad. G. Mairet, 2000, p.223.
[14] Ibid., chap. XI.
[15] François Dubet, Les places et les chances. Repenser la justice sociale, Seuil, 2010.
[16] Etienne Balibar, Violence et civilité, Galilée, 2010.
[17] Pour tout ceci, cf. François Flahaut, Le sentiment d’exister, Descartes et Cie, 2013.