Chronique du 10 octobre 2011, RTBF/La Première
« Dexia victime de la crise de la Zone Euro ». C’est en entendant pour la dixième ou la vingtième fois cette phrase, crise de la Zone Euro, que je me suis fait la réflexion, journalistes, politiques, financiers et syndicalistes se disputent au sujet de cette crise, sur ce qu’il faut faire pour sortir de la crise mais tout le monde, de droite comme de gauche, tout le monde s’entend pour identifier ce que nous vivant comme étant une crise, la crise.
Pourtant, prenons un peu de recul. Pour quelqu’un de ma génération (j’approche la cinquantaine), le mot « crise » remonte loin dans mes souvenirs. Le choc pétrolier de 1974, les dimanches sans voitures, les dévaluations à répétition du franc belge, la sidérurgie qui s’effondre, la montée du chômage. Mais de cette crise des années 70-80, la fin des « Trente Glorieuses », on n’est finalement jamais sortis.
Le chômage et la précarité ont continué d’augmenter, comme le pétrole. Et d’autres crises ont fait leur apparition ; crise écologique, crise alimentaire, crise énergétique, crise de l’enseignement, crise des valeurs et j’en passe. Et puis cette crise bancaire qui mobilise aujourd’hui tous les efforts et les nuits du Gouvernement. Je rappelle qu’elle sévit depuis 2008.
Dans ces conditions, le mot « crise » ne veut plus dire grand chose.
Car une crise en toute logique, c’est une période brève, douloureuse mais décisive à laquelle, il y a une issue. Alors je ne voudrais pas faire le cuistre mais enfin, je le fais quand même ; « crise » vient des mots grec « krisis« , et « krino« , « krinen« , terme judiciaire et médical. La « krisis » lors d’un procès, c’est le moment du choix, de la décision et donc aussi le moment où l’on se pose les vraies questions. Ou encore, en médecine, le moment de la maladie où l’on intervient en vue d’une issue, d’un dénouement imminent.
Mais est-ce cela que nous vivons ? Sommes-nous à l’heure du choix, de la décision ? Un dénouement positif ou négatif, à la crise bancaire, financière, économique, sociale, est-il en vue ? Je voudrais le croire parce que je pense que nos problèmes sont profonds, structurels, que la situation est réellement critique … Critique est un dérivé de « crise », donc nous avons besoin de faire de véritables choix, de faire preuve d’esprit critique, c’est-à-dire de mettre radicalement en question le système économique et la société dans lesquels nous vivons.
Mais j’ai le sentiment au contraire que nous faisons tout pour nous voiler la face et éviter la crise. Tous les jours nous apportent des chiffres hallucinants de déficit, de dette, de statistiques catastrophiques mais c’est comme si nous étions habitués à tomber dans le précipice, comme si les tensions, les crashes, les faillites, les licenciements, comme si tout ça était l’état normal permanent de notre société.
Le Gouvernement gère la crise, c’est le message. On ne saurait mieux dire que la crise dans notre société, n’est pas l’heure du choix, le moment décisif, mais c’est le train-train, la routine. D’ailleurs cette crise est gérée par un Gouvernement en affaires courantes, c’est tout dire.
J’ai donc le sentiment, Marie Laure, qu’en dépit des efforts louables de Messieurs Reynders et Leterme, nous ne prenions pas la crise au sérieux.
On emploie le mot à tort et à travers mais on passe à côté des vraies questions. Le système dans lequel nous vivons, est-il viable ? Notre mode de vie est-il juste ? Sommes-nous prêts à renoncer à ce pourquoi il y a crise, l’argent, la consommation, l’accumulation ?
Ces questions-là, nous évitons de nous les poser. Comme bien des malades, nous croyons que la crise va passer et que tout va rentrer dans l’ordre. Mais ce à compte-là, quand nos enfants seront à leur tour de vieux quadras, je me demande quels mots ils emploieront pour qualifier le monde que nous leur aurons laissé.