Réunion de crise à 14 heures chez la Ministre de la Justice, Annemie Turtelboom, au sujet de la situation dans les prisons.
Mais peut-on espérer la mise en place d’une » véritable politique pénitentiaire « , comme le réclament tous les éditorialistes, la bouche en cœur, dans nos journaux de ce matin ? Et les politiques sont-ils vraiment responsables de ne rien faire et de manquer de courage depuis 30 ans, comme le déplorent les mêmes éditorialistes ? N’est-ce pas la société tout entière qui est responsable de la situation ? En clair : est-ce que les prisons ne sont pas exactement ce que nous voulons qu’elles soient?
Je m’explique. Surpopulation, bâtiments insalubres, insécurité, morts suspectes, mauvais traitements et soins médicaux catastrophiques – savez-vous, par exemple, que plus de 1 000 malades mentaux s’entassent dans les ailes psychiatriques des prisons, faute de place dans les hôpitaux psychiatriques – ? Rapport après rapport, enquête après enquête, c’est toujours le même constat.
Mais le plus étonnant, c’est que ces critiques, on les fait au système carcéral depuis … qu’il existe ! Au 19e siècle déjà, on dénonçait les préventives abusives, les prisons surpeuplées, coûteuses, écoles du crime et de la récidive, lieux d’une violence extrême – meurtres, mutineries, suicides, trafics, viols. Au 19e siècle déjà, rapport après rapport, enquête après enquête, les belles âmes disaient que les prisons n’étaient pas dignes de la démocratie et que le politique devait agir …
Malgré tout, depuis deux siècles, on continue de construire toujours plus de prisons, d’y interner toujours plus de monde, dans des conditions de plus en plus dégradées. Comme aux USA : 2, 5 millions de détenus avec pour seul résultat … une augmentation constante de la criminalité et de la délinquance !
Il faut peut-être retourner la question et se demander : est-ce que la prison ne remplit pas exactement son rôle, à savoir d’être un espace hors-société, une sorte d’inframonde où nous rejetons tous ceux que nous considérons comme des inutiles au monde ? Notre société fonctionne comme une centrifugeuse : elle rejette à la périphérie ce qui fonctionne moins bien selon ses critères, et à la périphérie de la périphérie, ce qui est carrément surnuméraire, superflu.
La prison est le stade terminal de la déchetterie sociale. De la même manière que la société de consommation croule sous des déchets ménagers qu’elle ne sait plus comment traiter, la société sécuritaire croule sous les déchets humains qu’elle a elle-même produits.
Tant que notre société sera une société d’exclusion, de violence et de non-droit, il y aura forcément des lieux de pure exclusion, de pure violence, de non-droit absolu. C’est pourquoi il est faux de parler d’échec de la prison. En fait, c’est l’échec de la société tout entière. La prison-poubelle est la conséquence logique d’une société agressive et hyper-conflictuelle.
Dès que les gardiens de prison rentreront dans le rang, je vous le prédis, ce sera business as usual. Nous dirons que les juges sont trop laxistes, que les dealers ne doivent pas être laissés en liberté ; nous réclamerons des peines incompressibles ; et si Michelle Martin demande sa libération conditionnelle, ce sera le scandale.
Allons, ne soyons pas hypocrites : nous avons les prisons que nous méritons. La prison est tout simplement le reflet de notre société. Le reflet inversé, mais le reflet quand même, comme un négatif photographique, l’envers du miroir. Ce miroir nous renvoie un visage défiguré de nous-mêmes. Qu’il faudrait avoir un jour le courage de le regarder en face.