Onze thèses pour sortir du mur

Au départ, ces 11 thèses n’étaient destinées à aucun public, groupe, parti, organisation en particulier. Je les avais écrites pour moi-même, au lendemain de l’élection de Donald Trump (une référence ironique à un fameux petit texte de Marx, Les 11 Thèses sur Feuerbach). Puis j’ai eu l’occasion de les soumettre à divers publics – étudiants, dirigeants syndicaux, travailleurs sociaux, etc. Elles n’ont cessé d’évoluer au gré de ces discussions et des événements qui se sont succédé depuis. C’est donc un work in progress (ceci est la 4e version), qui part de l’intuition que nous n’allons pas dans le mur, mais que nous sommes dans le mur. Le Brexit, l’éviction de Renzi, l’élection de Trump, le vote FN ne sont pas seulement des « mutineries électorales »[1], mais l’avancée inexorable de nos sociétés dans une voie sans issue.

Il faut en sortir. Sortir du mur. Changer de modèle ou – comme on dit aujourd’hui – de « logiciel ». J’ai rédigé ces thèses, animé de la conviction qu’une alternative existe et qu’elle est historiquement et politiquement praticable.

 

Thèse 1 : Nous sommes dans une « crise organique » (Gramsci) : l’ancien modèle est à bout de souffle, le nouveau n’est pas encore né.

Au lendemain des élections présidentielles françaises, j’éprouve un sentiment mêlé de soulagement et d’inquiétude. Soulagement, bien sûr, de ne pas voir Marine Le Pen accéder à son tour au pouvoir, dans la foulée de Donald Trump. Mais inquiétude car en France comme ailleurs nous restons dans le mur.

  • La victoire d’Emmanuel Macron est celle de l’orthodoxie néolibérale. Derrière la modernité de l’emballage marketing (et l’incontestable talent du jeune Président), le programme d’En Marche n’est rien d’autre que celui de la « Troisième voie » empruntée dans les années 1990-2000 par Tony Blair et Gerhard Schröder, et d’autres un peu partout en Europe – et théorisée à l’époque par Anthony Giddens et Ulrich Beck. Ce programme repose sur un principe simple : TINA « There Is No Alternative » (Margaret Thatcher). Un tel discours social-libéral paraît nouveau en France parce que le système politique empêchait jusqu’ici sa traduction électorale ; mais partout ailleurs dans le monde, ce social-libéralisme est aujourd’hui considéré comme obsolète, ringard – et partout, rejeté par les électeurs et les partis qui, jadis, s’en faisaient les champions. Il n’y a aucune raison de penser que les mêmes causes ne provoqueront pas les mêmes effets : une économie plus dynamique et plus prospère peut-être, mais avec beaucoup de perdants de la mondialisation qui continueront de grossir les rangs du Front National – dont l’heure viendra alors en 2022. Première inquiétude : la fuite en avant dans le néolibéralisme, alors même qu’il se trouve en crise terminale ;
  • D’autre part, aucune alternative politique au néolibéralisme n’existe à ce jour. Partout en Europe, les partis socialistes ou socio-démocrates sont en voie d’implosion, tandis que la gauche radicale reste dans une posture « tribunicienne » qui la rend politiquement impuissante [2]. La France Insoumise entretient l’illusion qu’un un « Nous » populaire et national est capable de se dresser seul contre le « Eux » des élites dirigeantes et néolibérales. Quant à Benoît Hamon, il a eu le mérite de proposer un vrai programme de gauche, mais dont la mesure phare, le revenu universel d’existence, est la fausse bonne idée à la mode – faussement progressiste, mais fondamentalement néolibérale (j’y reviendrai). Dans le camp progressiste, la confusion théorique et politique est totale

Nous sommes dans une « crise organique » (Gramsci) : l’ancien modèle est à bout de souffle, le nouveau n’est pas encore né. Je n’ai pas la prétention de proposer une alternative au néolibéralisme, mais je crois qu’il est temps que les « intellectuels » réfléchissent aux conditions d’une telle alternative. Notre rôle, comme le disait Michel Foucault, est de problématiser notre présent – c’est-à-dire à la fois (1) d’identifier les problèmes fondamentaux et (2) de « penser autrement » les alternatives possibles. Dans cette double perspective, je voudrais montrer (1) que le problème fondamental aujourd’hui est celui des inégalités, et (2) qu’un projet social-démocratique de restauration de l’État social est parfaitement praticable historiquement et politiquement.

 

Thèse 2 : Les deux explications les plus répandues du populisme sont unilatérales : celle qui y voit l’expression d’une « insécurité sociale et culturelle » réelle des classes populaires face à la mondialisation néolibérale, et celle qui y voit un « grand ressentiment » complice du néolibéralis

Le terme « populisme » étant mis à toutes les sauces, j’en propose une définition générique : c’est une idéologie qui présente le « peuple » comme un « Nous » menacé par des « eux » – désignant deux groupes exogènes nuisibles : les « élites », isolées dans leur caisson sensoriel, cyniques et corrompues ; et les « étrangers », migrants ou immigrés dont l’arrivée massive est assimilée à une « invasion ».

Deux explications antagonistes s’affrontent quant à la nature du populisme :

Pour certains, il est l’expression d’une insécurité sociale et culturelle face à une globalisation dévastatrice, dont les élites et les étrangers apparaissent comme les agents (opérant les uns par le haut, les autres par le bas)[3]. La gauche, en épousant la cause (foncièrement libérale) de la diversité (femmes, LGBT, etc.) et des minorités allochtones (musulmans, immigrés) au détriment de la défense des intérêts des classes populaires autochtones, aurait cautionné la mondialisation et ses effets destructeurs sur ces dernières. Ainsi s’expliquerait le fait que les ouvriers votent désormais massivement pour l’extrême droite [4].

Pour les tenants de cette explication, l’urgence face au populisme de droite est de construire un populisme de gauche qui garderait du premier son hostilité légitime à la mondialisation et aux élites qui l’incarnent, tout en l’expurgeant de sa composante xénophobe. C’est la voie empruntée par Mélenchon, et théorisée par la philosophe politique (d’origine belge) Chantal Mouffe (qui lui a apporté un soutien déterminé) : reconquérir prioritairement les classes populaires autochtones.

Pour d’autres, au contraire, le populisme ne serait pas le symptôme d’un malaise légitime (que l’on pourrait réorienter positivement), mais l’expression d’un « grand ressentiment » culturel à l’égard des minorités et des assistés [5]. Le vote Trump n’est pas tellement un vote populaire, mais surtout un vote blanc, masculin, religieux-conservateur, plutôt middle class bien que peu diplômé. L’électorat de Trump n’aurait pas voté contre le néolibéralisme, mais bel et bien pour le racisme, la xénophobie[6], le sexisme[7], l’anti-intellectualisme. Sinon, comment expliquer que l’orientation néolibérale de son cabinet n’ait eu aucun effet sur sa popularité ? Le vote populiste serait donc motivé par le ressentiment, la volonté pour les dominants (hommes, blancs, propriétaires, hétérosexuels, etc.) « de conserver leur position de domination naturelle » sur les minorités, les femmes, les « assistés ».

Le populisme de gauche serait donc une illusion complète. La cible ne devrait pas être les électeurs extrémistes (comme si ceux-ci avaient une sensibilité de gauche « refoulée »), mais les abstentionnistes qui n’ont pas encore répondu aux sirènes du populisme[8].

 

Thèse 2bis : La croyance dans le déclin inéluctable de la société est le ressort psychologique profond du populisme.

Le populisme est-il le symptôme d’un désarroi social qui ne peut être ignoré, ou un ressentiment destructeur qui doit être vigoureusement combattu ? Selon moi, ce n’est pas l’un ou l’autre, mais l’un et l’autre. Les partis extrémistes transforment le désarroi en ressentiment, et maquillent le ressentiment en désarroi, et cela grâce à un discours fondamentalement décliniste. La croyance dans le déclin inéluctable de la nation, de la société, de la civilisation en général, est le ressort psychologique profond du populisme

Les enquêtes (notamment celles menées chez les jeunes adultes) montrent un contraste saisissant entre un relatif optimisme personnel et un profond pessimisme sociétal (qui pourrait se traduire par la formule « moi ça va, mais nous allons très mal ») [9]. Même si je sais que ma situation n’est pas si mauvaise, que je vais tirer mon épingle du jeu, je n’ai fondamentalement pas confiance dans le support collectif qui m’entoure. Beaucoup d’individus pensent qu’ils réaliseront leurs projets de vie (professionnels, personnels, etc.) non pas avec les autres, mais malgré, contre les autres qui m’apparaissent comme des concurrents et/ou des étrangers. Le réflexe est dès lors de ne faire confiance qu’à ceux qu’on aura identifiés comme membres du Nous, par opposition à Eux. C’est donc le sentiment de déclin qui entraîne le repli identitaire. Nous devons en tirer une conclusion évidente : la gauche ne peut être décliniste, elle est par essence progressiste – ce qui ne nous oblige pas à croire dans le progrès comme à une force autonome de l’Histoire, mais bien de reconquérir une capacité d’agir individuelle et collective : proposer un projet de société, rendre l’avenir désirable.

 

Thèse 3 : Les territoires qui connaissent les plus fortes inégalités locales et où le tissu social est le plus dégradé, sont ceux où le sentiment de déclin collectif – et partant, le repli identitaire – sont les plus forts.

Or je voudrais montrer que le déclinisme est en corrélation avec la question des inégalités. Que montre en effet la sociologie des inégalités ?

 

  1. La mondialisation capitaliste tend à réduire les inégalités entre régions et pays du monde, mais à les augmenter au sein de chaque région et pays[10]. Les pays européens sont donc en train, en même temps (1) de perdre leur position hégémonique dans l’économie mondiale et (2) de se fracturer de l’intérieur ;
  2. Au sein des régions et pays, les écarts concernent moins les salaires, qui se situent dans une fourchette raisonnable, que les patrimoines, qui eux révèlent des disparités énormes. Avoir un boulot (et, en amont, un diplôme) ne garantit plus d’avoir une position enviable sur l’échelle sociale. La démonstration de Thomas Piketty est implacable : le monde de Balzac, celui des héritiers et des rentiers, est de retour – un monde bloqué et fracturé, sans mobilité sociale. Aujourd’hui, l’essentiel du patrimoine est devenu la propriété du décile et même du centile supérieurs[11]. Objectivement, il y a bien d’un côté les 99%, de l’autre côté le 1% ;
  3. Mais ces 99% n’ont aucune conscience subjective de constituer une classe en lutte contre celle des 1%. Au contraire, les privilégiés paraissent appartenir à un autre monde – celui de Davos, de Bill Gates ou Lionel Messi – qui fascine plus qu’il n’indigne la grande majorité de la population. C’est aux groupes et aux individus proches de soi qu’on se compare : l’allocataire social autochtone à l’allocataire immigré, l’ouvrier à l’employé, le rural au citadin, etc. C’est ce que le sociologue François Dubet appelle la « préférence pour l’inégalité » [12]. Les inégalités en régime néolibéral ne séparent plus des classes relativement homogènes (« monde ouvrier » versus « monde bourgeois »), mais forment plutôt un continuum qui accentue les stratégies de distinction et exacerbe la peur du descenseur social.

La sociologie électorale du vote FN le confirme. Le carte des votes frontistes en France est « percée de trous, mitée par les espaces urbains »[13]. Dans les espaces métropolitains (regroupant centre-ville et banlieues), le vote FN reste faible, tandis que dans les espaces périphériques (ou « périurbains », entre 30 et 70 kms des villes), sa progression est fulgurante[14]. Dans ces espaces périurbains se concentrent les ménages qui ne pas forcément dans la pauvreté, mais qui connaissent une dynamique sociale négative, le « descenseur social ». C’est là aussi que le lien social est le plus dégradé : inégalités locales, services publics défaillants, absence de liens de voisinage. C’est surtout vrai de la France des villages fermés (Nord-Est, Est et Sud-Est), par opposition avec la France des hameaux et des bocages Centre et façade atlantique), beaucoup plus conviviale et préservée – qui résiste au vote FN.

S’il y a donc un lien fort entre populisme et inégalités, ce n’est pas que les populations plus pauvres seraient mécaniquement plus xénophobes (c’est empiriquement faux[15]), mais que les territoires qui connaissent les plus fortes inégalités locales et où le tissu social est le plus dégradé, sont ceux où le sentiment de déclin collectif – et partant, le repli identitaire – sont les plus forts.

 

Thèse 4 : L’égalité n’est pas une modalité de notre rapport à l’autre, mais de notre rapport au monde.

D’où la thèse centrale qui est la mienne – et qui peut paraître contre-intuitive : l’égalité n’est pas une modalité de notre rapport à l’autre, mais de notre rapport au monde. Elle ne se joue pas tant dans la relation directe de Je avec Tu, de Nous avec Eux, que dans le monde commun qui relie Je et Tu, Nous et Eux. Il y a égalité quand les acteurs sociaux vivent dans le même monde, se perçoivent comme semblables, et quand les différences de revenus, de statuts, etc. qui les séparent sont des différences de degré et non de nature.

Robert Castel montre bien que pour exister comme individu, avoir conscience d’être soi, il faut être doté d’un support d’existence, d’une assise[16]. Avoir un socle social est la condition de possibilité de toute individuation, et partant la condition de possibilité pour tout sujet de développer des stratégies personnelles, d’être libre. L’anthropologie libérale, qui réduit la liberté à la non-interférence, est fausse : être libre, c’est être relié aux autres, inséré dans un réseau de sociabilité. Nos langues en ont d’ailleurs gardé la mémoire : en latin, liberi veut d’abord dire : bien-nés, de bonne souche. En germanique, frei, free, vrij (« libre ») sont étymologiquement reliés à freund, friend, vriend (« ami ») : la liberté, c’est l’appartenance au groupe de ceux qui se nomment mutuellement frères ou amis.

Ce support d’existence, je l’appelle LE politique. Il n’est pas seulement social, il est aussi symbolique : c’est le socle impersonnel, objectif des rapports sociaux, qui fait tiers entre Je et Tu, Nous et Eux, et qui assigne à chacun une place, une position dans un système social de coopération qui est aussi un système de hiérarchie et de dépendance (femmes/hommes, enfants/parents, serfs/maîtres, etc.). LE politique est donc le support, et donc la condition de possibilité (historiquement variable) de LA politique – c’est-à-dire des relations concrètes, faites d’alliance et de rivalité, de reconnaissance et de lutte pour la reconnaissance, entre Je/Tu, Nous/eux. Je le répète : notre rapport au monde (LE politique) précède notre rapport aux autres (LA politique) [17].

 

Thèse 5 : La « modernité » est le passage du théologico-politique au biopolitique

C’est au niveau anthropologique DU politique que la société moderne se distingue des sociétés traditionnelles. Dans celles-ci, le politique est inégalitaire, mais encastré, incorporé : l’individu n’a pas de droits du seul fait d’être un vivant ; tous ses droits découlent de son statut dans le corps social. Dans la société médiévale, par exemple, ses droits découlent de son appartenance à la classe des Oratores, des Bellatores ou des Laboratores – et s’il est laborator, de son statut d’apprenti, compagnon ou maître, etc. Dans ces sociétés très inégalitaires, mais fortement incorporées, les plus démunis bénéficient d’une forte solidarité sociale qui est comme une protection rapprochée : en sont exclus les étrangers au clan, au village, à la communauté, et aussi ceux qu’on soupçonne ne pas vouloir travailler –  telle est la figure du vagabond, réputé « inutile au monde », surnuméraire (dont la figure présente, on le voit, d’étonnantes analogies avec « l’immigré » et « l’assisté » d’aujourd’hui [18]). Le politique est ici de type théologico-politique : l’instance symbolique qui fixe à chacun sa place dans les hiérarchies est figurée par un Autre (Ancêtres, Dieu(x), etc.) au nom duquel les acteurs jouent leurs stratégies dans l’espace de la politique.

La société moderne, elle, ne se figure plus comme un corps : les individus ont des droits du seul fait d’être des humains vivants, et les places qu’ils occupent dans la société ne sont plus ni fixées ni garanties par un Autre transcendant. LE politique perd sa dimension théologique, pour devenir biopolitique. La « modernité » est le passage d’une société fondée sur le théologico-politique à une société fondée sur le biopolitique.

J’emprunte le terme biopolitique à Michel Foucault. Je crois qu’il est parfaitement adapté pour qualifier ce que nous appelons habituellement « la question sociale » – qui surgit au XIXe siècle avec la révolution industrielle et le capitalisme – et en même temps aussi que la démocratie (qui ne devient un terme positif qu’à cette époque). Le social, le capital et la démocratie forment un tout solidaire dont la matrice est le biopolitique.

Foucault définit le biopolitique comme « la manière dont on a essayé de rationaliser les problèmes posés à la pratique gouvernementale par les phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population : santé, hygiène, natalité, longévité, races … »[19]. Alors que dans le théologico-politique, le but du souverain était de « faire mourir et laisser vivre » ses sujets, avec le biopolitique, le but du pouvoir est de « faire vivre et laisser mourir » les vivants en fonction des besoins de l’économie nationale [20]. Le biopolitique, c’est donc quand le pouvoir prend pour objet la vie, le vivant – sous deux dimensions : le corps qu’il faut dresser, discipliner, et la population qu’il faut réguler, contrôler –, mais toujours, c’est la vie, le vivant qu’il faut normaliser en vue de la plus grande utilité, efficacité, rentabilité.

 

Thèse 6 : La misère de situation peut être pire que la misère de condition

Chez Foucault, le terme « biopolitique » est un terme critique.  Il veut montrer que derrière le « progrès » apparent d’une gouvernementalité qui cherche à « faire vivre », qui garantit le droit à la vie, à la santé, au bien-être, ce qui se met en place, c’est un pouvoir d’une grande violence – un pouvoir normalisateur qui dresse, contrôle, quadrille nos vies – pouvoir biopolitique qui se fait aussi pouvoir thanato-politique, pouvoir de « laisser mourir » – tous les inutiles, superflus, surnuméraires, voire de les éliminer par épuration, déportation, génocide. Le racisme est la face sombre (mais indispensable) du biopolitique [21].

Pour mon compte, je donne au biopolitique un sens moins unilatéral. Car si le biopolitique, c’est le politique qui prend pour objet le vivant, c’est aussi, à l’inverse, le vivant en tant qu’il est traversé, constitué par le politique. On connaît la célèbre formule d’Aristote : « l’homme est un zôon politikon » – un vivant politique, c’est-à-dire un être dont la Cité est le support d’existence, la condition de survie ; un être qui, par conséquent, ne peut déployer sa puissance d’exister qu’en relation avec un milieu social, une culture.

C’est pourquoi l’inégalité est un phénomène relationnel. Ce qui est en jeu, ce n’est pas tant la misère de condition (froid, faim, déprivation matérielle) que la misère de situation (l’écart vécu et perçu avec ceux qui sont mieux lotis). Le chômeur du XXIe siècle vit dans des conditions infiniment meilleures qu’un professeur d’université du XVIIIe (sécurité, alimentation, santé, espérance de vie, etc.) ; mais sa situation sociale est en fait analogue à celle du vagabond ou du prolétaire de cette époque, considérés et traités comme des « surnuméraires » (« inutiles au monde »). Nous sommes au cœur de la biopolitique : cette situation sociale influence directement la santé de l’individu. Dans L’inégalité nuit gravement à la santé, Richard Wilkinson a montré que « plus le degré d’inégalité socio-économique est faible, plus les indicateurs de santé sont bons ». Il ne veut pas dire que les pauvres sont en moins bonne santé (ce qui est trivial), mais que « la santé est moins fonction du revenu absolu et du niveau de vie que du revenu relatif et du statut social » [22]. Dans les territoires où les inégalités sont plus faibles et le tissu social, solide, il y a tout simplement une espérance de vie plus longue, moins de meurtres, de suicides, de dépressions, d’alcoolisme, etc. dans tous les groupes. Il est physiquement, corporellement pénible à l’être humain de vivre alors que le support social se dérobe, et il lui est proprement insupportable de se retrouver désaffilié, surnuméraire.

 

Thèse 7 : Plus les individus disposent d’un support social d’existence stable, moins ils ont besoin de référents identitaires ; à l’inverse, moins une société forme un monde commun, plus les individus auront tendance à se projeter dans des constructions identitaires de type Nous – Eux.

Or même quand le sujet est désaffilié socialement, il n’en reste pas moins un être relationnel. Quand l’individu ne dispose plus de la protection rapprochée de supports sociaux d’existence, il investit alors sa puissance relationnelle dans des supports d’existence de type identitaire – communautaire, nationalitaire, ethnique, religieux. Toute identité est une identification – une construction imaginée qui, elle, n’a pas besoin de tiers symbolique : Je et Tu, Nous et Eux investissent leurs identités dans des rapports de fusion – répulsion.

D’où la « dialectique » suivante : plus une société parvient à assurer « objectivement » la cohésion sociale, en resserrant les écarts entre les classes et les groupes, moins l’individu aura « subjectivement » besoin de référents identitaires de type nationaliste ou communautaire ; à l’inverse, moins une société forme un monde commun, car désagrégée par la concurrence et les inégalités, et plus les individus auront tendance à se projeter dans des constructions identitaires de type Nous – Eux. La biopolitique devient une thanato-politique : pour que Nous vivions, il faut que Eux disparaissent.

Pendant les « Trente Glorieuses », dans la foulée du « pacte social » de 1945, on a vu la promotion du collectif au niveau du support social (sécurisation de l’existence, réduction des inégalités), mais aussi, de façon complémentaire, la montée des droits individuels au détriment des constructions identitaires (libération sexuelle, égalité femme/homme, déclin du nationalisme et des religions). Les classes populaires, malgré des conditions d’existence bien plus difficiles qu’aujourd’hui, se projetaient positivement dans l’avenir (« demain sera meilleur »).

À partir des années 80, l’offensive néolibérale inverse la dynamique : au niveau du support social, c’est l’individualisme qui prime, avec la mise en concurrence des travailleurs et l’insécurité sociale grandissante ; ce qui crée chez les individus une demande compulsive d’identité – national-populisme chez les « autochtones », communautarisme chez les « allochtones ».

Thèse 8 : Lutter contre le capitalisme, c’est le sauver de lui-même

Il nous faut au passage réviser la critique que Marx a faite du capitalisme. Il le croyait pris dans une contradiction de nature strictement économique (la fameuse chute du taux de profit), alors qu’en fait cette contradiction est biopolitique : le capitalisme a besoin du biopolitique, et en même temps, il le détruit [23] :

  • d’un côté, comme système social, le capitalisme cherche à se reproduire, à se perpétuer grâce à une symbolique qui le légitime (Liberté, Propriété, etc.), et grâce à des institutions de nature biopolitique. Il ne saurait fonctionner sans la famille, l’État, la culture, la nature qui nous entoure, etc. Ces institutions non économiques forment son socle vital ;
  • mais d’un autre côté, en tant que dynamique économique vouée à l’accumulation pour l’accumulation, le capitalisme tend aussi, on le voit tous les jours, à détruire ces institutions biopolitiques : démantèlement des services publics et des protections sociales, dérèglement environnemental et climatique, inégalités femmes/hommes, etc.

Lutter contre le capitalisme, c’est donc paradoxalement éviter qu’il ne s’abîme dans ses propres contradictions. C’est en quelque sorte le sauver de lui-même. Voilà qui invalide deux options politiques qui ont pourtant le vent en poupe :

  • l’option social-libérale (Macron) qui ne remet pas en cause la dynamique d’accumulation (TINA) et qui croit qu’une politique de diversité et d’égalité des chances pourra prévenir le basculement destructeur dans le thanato-politique ;
  • l’option néo-communiste (Mélenchon) qui croit en un saut rédempteur hors du système, en une mutation radicale du

Je crois plutôt que les choix politiques que nous devrons faire dans les prochaines années se feront entre deux évolutions historiques possible.

La dynamique d’accumulation se poursuit, et chaque État sera alors obligé d’intensifier ce qui fait déjà aujourd’hui : (1) attirer les capitaux en baissant toujours plus les charges, càd les protections sociales (qui représente 30% du PIB), donc en baissant les standards biopolitiques d’existence et (2) gérer les déchets organiques et humains de la compétition néolibérale, à l’aide de politiques de plus en plus sécuritaires. Dans le cours de 76, « Il faut défendre la société », Foucault montrait (on l’a vu) qu’en creux du biopolitique se trouvait le thanato-politique qui consiste à éliminer (ou du moins traiter comme des rebuts, des parasites) tous ceux qui sont réputés dégrader la vitalité de la population. Mais il est très intéressant d’observer que seulement deux ans plus tard, dans son cours consacré au néolibéralisme (et précisément intitulé Naissance de la biopolitique), Foucault montre que les théoriciens néolibéraux ont imaginé une autre alternative à l’État social – dont ils veulent le démantèlement au nom de la « pureté » du marché. Or, que propose Milton Friedman dès 1962, suivi par Lionel Stoléru (qui sera ministre de Giscard d’Estaing) en 1972  ? Le revenu universel, appelé à l’époque « impôt négatif » ! L’idée, c’était de substituer à toutes les allocations plus ou moins catégorielles une allocation unique qui permette à tout individu de rester dans le circuit économique. Stoléru est très clair sur la finalité de cette allocation : « dissocier entièrement ce qui correspond aux besoins de l’expansion économique et ce qui correspond au souci de solidarité et de justice sociale »[24]. Il s’agit en toutes lettres d’abandonner la lutte contre les inégalités (la misère de situation, que Stoléru appelle « pauvreté relative »), pour n’éviter que la « pauvreté absolue » (misère de condition).

La gestion néolibérale de la question sociale oscille donc entre deux « solutions » : la thanato-politique sécuritaire d’un côté, le revenu universel d’existence de l’autre.

  • L’alternative est d’enrayer, du moins de freiner la dynamique d’accumulation en préservant, en restaurant le socle biopolitique d’existence : (1) l’accès à la santé et à l’éducation ; (2) les institutions démocratiques, (3) la biosphère désormais elle-même menacée. Or une telle politique ou biopolitique social-démocratique est parfaitement praticable : il est faux de dire que les États ont été dépossédés de leur pouvoir par les marchés financiers et les institutions transnationales (FMI, BCE, Commission Européenne, etc.), comme il est faux de dire que les protections sociales (assurance-chômage, assurance-maladie, retraites) seraient devenues impayables :
  • Ce sont les États qui ont opéré le tournant néolibéral des années 1980, à travers toutes sortes de dispositions monétaires et fiscales d’une grande violence politique; et aujourd’hui encore, le système néolibéral ne survit que grâce aux interventions politiques des États (comme on l’a vu lors de la crise de 2008). Ceux-ci ont donc parfaitement la capacité d’opérer un tournant social-démocratique (comme ce fut le cas lors du Pacte social de 1945) ;
  • Thomas Piketty estime qu’il suffirait d’augmenter la fiscalité de seulement 4-5% de PIB pour permettre à l’État social de relever les défis qui sont les siens. Rappelons qu’au cours du XXe siècle, les prélèvements sont passés de 10% à 50% du PIB, et que le régime néolibéral n’a aucunement diminué cette proportion (par contre, il a cherché à en exonérer le capital et les hauts revenus). En fait, une variation de 5 % à la baisse ou la hausse suffit à modifier en profondeur le système, ce qui montre l’importance de l’enjeu fiscal.

 

Thèse 9 : Pour un nouveau Pacte social – contre le revenu universel d’existence

Nous avons donc besoin d’un nouveau Pacte social, qui (comme celui de 1945) garderait comme objectif la lutte contre les inégalités, et comme instrument la conflictualité sociale régulée (autrement dit la négociation entre partenaires sociaux et, sur le plan politique, une véritable opposition gauche-droite.

Par contre, la situation diffère de celle de 1945 sur (au moins) deux grands points.

Premier point. Le travail se déconnecte de plus en plus de l’emploi. Je ne crois pas que, sous l’effet de l’automatisation et de la numérisation, nous vivions la fin du travail – ni même la fin de l’emploi. Certes, de nombreux métiers vont disparaître ou changer radicalement de nature (caissière de supermarché, conducteur de bus, mais aussi pilote d’avion, chirurgien, Professeur d’Université). Mais c’est plutôt la structure des emplois qui se transforme : l’emploi devient de plus en plus discontinu (alternance de périodes d’emploi et de non-emploi) et complexe (un même travailleur aura plusieurs employeurs, et combinera plusieurs statuts – employé, indépendant, etc.). Ce qui perd sa centralité, c’est donc l’emploi salarié modèle CDI.

Mais la centralité anthropologique du travail demeurera. C’est pourquoi le revenu universel d’existence est une fausse bonne idée[25], pour trois raisons principales

  • Une raison anthropologique : en déconnectant revenu et travail, on escamote une dimension essentielle de ce dernier : le fait d’être une activité sociale. Le travail est cette activité qui me lie, qui m’affilie à des gens que je ne connais pas et avec qui je peux néanmoins faire des choses (plus ou moins) intéressantes. Or le RUE ne fait pas lien. Selon moi, tout revenu perçu doit être la contrepartie directe ou indirecte d’un travail, que l’on peut définir comme (1) une activité de transformation du réel, du monde (2) qui a reçu une validation sociale ( = que la société considère comme « utile »)[26]. Si je lis un roman le soir chez moi, je ne travaille pas ; si je publie une critique de ce roman, je travaille. Dans cette perspective, il est certain que se former ou être bénévole dans une association, c’est du travail – même si c’est en dehors de la forme emploi. Mais c’est à ce travail que doit correspondre un revenu, et non au simple fait d’exister, d’être en vie ;
  • Une raison politique : si les protections sociales ne sont liées au travail, les partenaires sociaux n’ont plus grand-chose à négocier – et plus non plus de moyen de peser sur la définition ce qu’est un revenu « normal », une vie « décente » ;
  • Une raison économique : si le RUE est bas (+- 600€) , il n’est rien d’autre qu’une simplification du revenu d’intégration sociale ; s’il est plus haut (+- 1.000€), il est impayable. Il ne sera donc, au mieux, qu’une allocation de survie pour les surnuméraires, les rebuts de la compétition capitaliste.

C’est pourquoi je plaide non pas pour le RUE, mais pour un revenu collaboratif qui tienne compte du fait que certes  il y aura de plus en plus de travail hors de la forme emploi – comme on le voit avec l’économie collaborative. Je crois que l’emploi doit rester la source de revenus de référence, mais que tout individu qui perd son boulot ou veut le quitter (temporairement ou définitivement) doit avoir droit à un revenu pour lui permettre de se former, se réorienter, réaliser des projets associatifs, créatifs, etc. – revenu qui pourrait être variable selon l’utilité de l’activité qu’on se propose de faire. Le modèle que j’ai en tête est celui que nous connaissons dans le monde académique (et dont je vais profiter l’an prochain) : le séjour sabbatique. Durant 6 mois, 1 an, on est « payé » pour se ressourcer, réorienter ses recherches, etc. Je propose de le généraliser à l’ensemble de la population.

Ce dispositif devrait être complété, selon moi, par une réduction du temps de travail et une augmentation du salaire minimum. Ensemble, ces dispositions assurent le plein emploi. Le chômage ne résulte pas de l’automatisation de la production, mais d’une mauvaise répartition du temps de travail et des revenus.

Thèse 10 : Pour un nouveau Pacte social – pour un « Traité de convergence sociale européen »

Deuxième point. Le cadre de l’État social de 1945 était celui de l’État-Nation – même s’il ne faut pas oublier que la construction des protections sociales a été rendue possible grâce à la coordination internationale – ce que Alain Supiot a appelé « l’esprit de Philadelphie », du nom de la Déclaration de 1944 qui a jeté les bases des accords de Bretton Woods, pour empêcher les économies nationales d’entrer en concurrence déloyale les unes avec les autres. Différents modèles sociaux ont alors vu le jour en Europe – selon Esping-Andersen, il y en aurait trois principaux : le modèle scandinave, le modèle anglo-saxon et le modèle continental – auquel certains ajoutent un modèle méditerranéen[27].

Or aujourd’hui la mondialisation (1) accentue la concurrence entre les territoires (« dumping social »), (2) accélère les migrations économiques et (3) soulève des défis environnementaux et climatiques considérables[28]. Sans régulation au niveau international, les protections offertes par l’État social vont continuer à se dégrader. C’est pourquoi je plaide pour un « Traité de convergence sociale » au niveau européen, voire transatlantique, pour harmoniser (vers le haut) les dispositifs de protection sociale. A nouveau, on ne voit pas pourquoi ce qui a été possible dans un sens (des traités monétaires ou commerciaux favorables au libre-échange) ne le serait pas dans l’autre sens (des traités visant à réduire les inégalités) …

Car le protectionnisme n’est pas la solution. Nous avons besoin de traités européens, transatlantiques et mondiaux pour relever les enjeux économiques, géopolitiques, environnementaux de demain. D’où l’importance de la question européenne – que je n’ai pas non plus le temps d’aborder. L’Europe est aujourd’hui en ruine ; mais le souverainisme monétaire, économique et social est un leurre. Il faut une refondation de l’Europe autour d’un projet de société mobilisateur. Quel projet ?  Cela pourrait être celui d’une civilisation qui propose à ses citoyens – et même par-delà – de  sortir du néolibéralisme, de s’engager dans une voie néo-sociale, conviviale et écologique qui, sans remettre en cause l’économie de marché, en préserverait le socle biopolitique [29].

Thèse 11 : Il faut que les cadres redeviennent progressistes

Un dernier mot, sur la responsabilité des cadres de la société. Si le populisme de gauche de Mélenchon ne me paraît pas une solution souhaitable, c’est aussi parce qu’il met en scène une opposition ambigüe entre « nous le peuple » et « eux les élites ». Car qui sont ces élites ? Au sein des classes dirigeantes, il y a une différence essentielle entre la classe propriétaire (« capitaliste » : actionnaires, rentiers, héritiers) et la classe « cadriste » ou « organisatrice » (responsables politiques, intellectuels, académiques, journalistes, juristes, managers, etc.) [30]. L’histoire du XXe siècle montre que les phases de réforme « social-démocrate » (comme de révolution « communiste », du reste) ont toujours reposé sur l’alliance historique entre les classes populaires et la classe cadriste contre la classe capitaliste, alors que les phases de réaction (comme celle dans laquelle nous sommes plongés) ont été rendues possibles par l’alliance de cette même classe cadriste avec la classe capitaliste contre les classes populaires. Il est donc urgent que la classe cadriste (ou du moins, de sa composante « éclairée ») se désolidarise d’avec la classe propriétaire qui l’a si longtemps subjuguée [31].

Il faut que les cadres redeviennent progressistes. Il faut qu’ils cessent de répondre aux sirènes de la Troisième Voie, mais sans se complaire non plus dans le déclinisme qui fait le lit des populismes. Il faut qu’ils reprennent à leur compte la formule prêtée à Antonio Gramsci : le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté …

Édouard Delruelle

Professeur de philosophie politique à l’Université de Liège

 

 

[1] Nancy Fraser, « The End of Progressive Neoliberalism », Dissent, January 2, 2017.

[2] Dans les années 70, le politologue Georges Lavau avait lancé l’idée que certains partis (comme, à l’époque, le Parti Communiste) exerçaient une fonction tribunitienne de protestation contre le système, sans proposer de programme précis, par opposition aux partis de gouvernement pour qui l’on vote en fonction de leur programme. Il s’autorisait d’une comparaison avec le tribun du peuple de la république romaine, qui n’avait aucun pouvoir positif sauf celui d’être la voix de la plèbe et de ses intérêts.

[3] Laurent Bouvet, L’insécurité culturelle, Fayard, 2015.

[4] 40% des ouvriers ont voté pour Le Pen au premier tour de la Présidentielle, contre 22% pour Mélenchon, 13% pour Macron, 5% seulement pour Hamon.

[5] Eric Fassin, Populisme : le grand ressentiment, Textuel, 2017.

[6] 86% des électeurs de Trump sont pour la construction d’un mur à la frontière du Mexique.

[7] 60% sont contre l’avortement.

[8] Si 40% des ouvriers votent Le Pen, la même proportion s’est abstenue lors des dernières élections.

[9] 70% pensent que le chômage va fortement augmenter à l’avenir, mais seulement 20% s’inquiètent pour leur propre emploi[9]. 92% pensent que le réchauffement climatique va causer de plus en plus de catastrophes, 90% que les retraites seront plus basses, 81% que la sécurité de l’emploi va diminuer, 79% qu’un grand nombre de Musulmans ne s’adaptera pas à la culture européenne, 78% qu’il y aura plus de gens dans la pauvreté, 72% que l’intolérance entre les peuples ne fera qu’augmenter (Mark Elchardus, Au-delà du déclin, Lannoo Campus, Bruxelles, 2015, p.21).

[10] François Bourguignon, La mondialisation de l’inégalité, Seuil, 2012.

[11] En Europe, les 10% les plus riches possèdent 60% du patrimoine, les 50% les + pauvres, 4% (Aux USA, respectivement 72% et 2%). Le patrimoine moyen s’élève à 200.000€ (souvent : le logement), mais pour les 10% les plus riches, il est de 1,2 million €, et pour le centile supérieur, de 5 millions € (presque tout en avoirs financiers). 0,1% possède 20% du patrimoine. Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Seuil, 2013.

[12] François Dubet, La préférence pour l’inégalité. Comprendre la crise des solidarités, Seuil, 2014

[13] Hervé Le Bras, Le pari du FN, Autrement, p. 123.

[14] Le second tour confirme la thèse de Le Bras : parmi les dix plus grandes villes, il dépasse 80 % dans six d’entre elles. Sur les 174 communes de plus de 25 000 habitants, il arrive premier dans 168 d’entre elles. Et parmi les 6 où il arrive en seconde position, il fait son plus mauvais score à Calais, avec 42,58 %.

[15] La Flandre, où les partis populistes totalisent 40% des voix, a un PIB par habitant qui équivaut à 1,37 celui de la Wallonie, où le Parti Populaire plafonne à 5%. Marine Le Pen a obtenu 42% des voix dans le Haut-Rhin, 8e département le plus riche de France, mais seulement 30% dans le Cantal, classé 93e. Certes, a obtenu ses deux meilleurs scores dans l’Aisne (53%), classé 77e, et dans le Pas-de-Calais (52%), classé 91e.

[16] Robert Castel & Claudine Haroche, Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Fayard, 2001.

[17]  Il n’y a de lien entre Je et Tu, Nous et Eux, que par l’objectivité d’un Il/Elle/Cela, d’un référent : ce dont parlent Je et Tu, Nous et Eux, mais qui est aussi la Référence, l’Autre au nom de quoi ils parlent et qui, faisant tiers, les empêche de s’abîmer dans des rapports spéculaires de fusion-répulsion. Selon Benveniste, seuls Je et Tu, Nous et Vous, nomment des personnes au sens strict, car elles sont seules parties prenantes de l’allocution (je ne dis Je qu’à un Tu). Tandis que Il(s), Elle(s), Cela désignent ce dont parlent entre eux Je et Tu, comme d’une chose, d’un tiers, d’une absence, d’une « non-personne » (Emile Benveniste, Problèmes de linguistique générale 1, Gallimard, 1966, p.231 ; p.258-266).

[18] Robert Castel, Métamorphoses de la question sociale. Un chronique du salariat, Arthème Fayard, 1995.

[19] Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France.1978-1979, Gallimard/Seuil, 2004, p.323.

[20] Michel Foucault, « Il faut défendre la société ». Cours au Collège de France.1976, Gallimard/Seuil, 1997, p.214.

[21] Ibid., 231. Sq.

[22] Richard Wilkinson, L’inégalité nuit gravement à la santé, Cassini, 2002.

[23] Sur ce point, je suis Nancy Fraser, « Behind Marx’s Hiden Abode », New Left Review, 2014

[24] Cité par Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France.1978-1979, Gallimard, Seuil, 2004, p.206.

[25] Entre autres Jean-Marc Ferry, L’allocation universelle. Pour un revenu de citoyenneté, Cerf, 1995 ; Van Parijs & Yannick Vanderborght, L’Allocation universelle, La Découverte, 2005 ; Bernard Friot, L’enjeu du salaire, La Dispute, 2012.

[26] Le libéralisme soutient que la seule forme pertinente de validation sociale est le marché. Je crois pour ma part qu’il faut essayer de soustraire toutes sortes d’activités à la mesure du marché et organiser leur validation sociale (« qu’est-ce qui est utile ? ») par la délibération politique.

[27] Gosta Esping-Andersen, Les trois mondes de l’État-providence. Essai sur le capitalisme moderne, Presses Universitaires de France, 1999 ; Gosta Esping-Andersen & Bruno Palier, Trois leçons sur l’Etat-providence, Seuil, 2008.

[28] Sur les liens entre Etat social et défis énergétiques et environnementaux, cf. Eloi Laurent, Le bel avenir de l’Etat-Providence, Les Liens qui Libèrent, 2014.

[29] Des petits pays comme la Belgique n’auraient-ils aucune capacité d’intervention ni d’inflexion ? L’épisode du CETA a montré que cette capacité, aussi limitée soit-elle, était loin d’être négligeable.

[30] Jacques Bidet, L’État-monde, Libéralisme, Socialisme et Communisme à l’échelle mondiale, PUF, 2011.

[31] Gérard Duménil & Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec le néolibéralisme, La Découverte, 2014.

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