Chronique du 23 janvier 2012, RTBF/La Première
Monseigneur Léonard, la bénédiction des chroniqueurs de service public ! Ce week-end, j’avoue que j’étais sans aucune inspiration, après deux semaines de repos et de libation.
La trêve des confiseurs : rien à se mettre sous la dent ! Et puis soudain, miracle : Monseigneur Léonard a parlé urbi et Belgici ! Monseigneur Léonard déplore « les nombreux abus commis actuellement en matière de démocratie parlementaire ».
Selon le chef de l’Eglise de Belgique, le Parlement ne devrait pas statuer en matière de sexualité, de mariage, d’avortement, d’euthanasie, de bioéthique. Le scrutin majoritaire, la volonté populaire ? Billevesées, puisqu’il y a les Saintes Écritures qui font loi et qu’il nous suffit de lire !
Quelle perle, quelle aubaine ! Après les homosexuels, les anorexiques, les malades du sida, voilà le Parlement ! Donc hier soir, remonté à bloc, je me mets devant au travail, bien décidé à tailler un costard -enfin, une chasuble- à notre sémillant archevêque.
Et puis, en y réfléchissant, je me suis ravisé. D’abord, je me suis dit qu’il y aurait sûrement un déluge de protestations, alors à quoi bon en ajouter une de plus ? Et puis, faut-il réagir à chaque provocation d’un dignitaire de l’Église, alors que c’est exactement ce qu’il cherche ?
Car je crois qu’il y a, dans le positionnement de Monseigneur Léonard, une stratégie bien plus cohérente qu’on ne croie.
Quelle stratégie ? L’Église cartonne partout dans le monde, sauf en Europe. Pourquoi ? Parce qu’en Europe, les prêtres, selon la ligne dure qui prédomine au Vatican, ont été complètement ramollis par Vatican II, le ralliement à la modernité et au droit-de-l’hommisme. Ils sont devenus tout juste bons à aider les sans-papiers et à pousser la chansonnette chez Michel Drucker.
Tandis qu’en Afrique, en Amérique du Sud et du Nord, et même en Asie, l’Église est décomplexée, elle s’assume telle qu’elle est. Pour faire face à la concurrence de l’islam et des Eglises évangéliques et pentecôtistes, elle tient le discours le plus dur sur l’homosexualité, le sida, le préservatif, l’avortement. Intransigeance indispensable dans la surenchère avec les prédicateurs musulmans et néo-protestants.
Une question de survie pour gagner des parts de marché puisque, dans notre société, tout est devenu marché, même les croyances.
L’Église est donc, en fait, en train de se repositionner sur le plan idéologique et liturgique, en se tournant vers le sud et en délaissant la vieille Europe devenue quantité négligeable dans le catholicisme. Les catholiques européens ne représentent plus qu’un quart des baptisés à travers le monde et l’on prévoit qu’à l’horizon de 2050, ils ne seront plus que 15%. Alors, la démocratie belge …
Le calcul de Monseigneur Léonard, c’est que, dans une Europe en plein désarroi, son discours musclé finira par séduire un noyau d’ultras, de conservateurs, et que sur cette base solide, l’Église pourra repartir à l’offensive.
Évidemment, ceux qui font les frais de ce tournant, ce sont les générations de démocrates-chrétiens qui ont construit, avec les athées et les agnostiques, socialistes ou libéraux, la Belgique telle que nous la connaissons. Mais cette Belgique de papa agonise de toute façon, alors, doit-on se dire à Malines, autant lui donner l’extrême-onction et se mettre au diapason du « vrai » catholicisme qui triomphe partout dans le monde.
Les provocs de Monseigneur Léonard, ce n’est donc sans doute rien d’autre que le prix à payer pour remettre l’Église au milieu du village … global.