Dans son édition du 26 mars 2016, le journal Le Soir a demandé à diverses personnalités quelles sont leurs attentes pour un meilleur « vivre ensemble » en Belgique. Ceci est le texte de mon interview.
Pour Edouard Delruelle, les attentas de mardi ne relèvent pas spécifiquement d’un problème de défaillance du vivre-ensemble, mais de criminalité.
Est-ce que l’attentat de mardi pose selon vous la question du vivre-ensemble ?
Je ne suis pas du tout sûr que derrière l’acte terroriste de mardi, il y ait un problème de vivre-ensemble. Lorsqu’est survenue l’affaire Dutroux ou lorsque survient un fait de grand banditisme, on ne se pose pas je crois la question du vivre-ensemble. On se pose des questions sur la criminalité, sur la délinquance, sur le rapport entre folie et crimes, on pointe d’éventuels dysfonctionnements. L’acte terroriste n’est pas selon moi une défaite du vivre-ensemble. Les jeunes qui se font exploser, comme le disent une série de spécialistes de la radicalisation, ne sont pas des musulmans qui se radicalisent, ce sont des gens déjà en complet décrochage, en complète radicalité qui s’islamisent. Cela dit, je ne dis pas qu’en Belgique, il n’y a pas des problèmes et que les attentats de mardi ne vont pas avoir des répercussions sur le vivre-ensemble. Ce qu’il faut d’ailleurs éviter, c’est de tomber dans le piège de Daesh et de faire de la communauté musulmane en quelque sorte un ennemi de l’intérieur. Comme si la fracture passait entre « nous », les chrétiens, les catho laïcs, les Occidentaux et « eux », les musulmans, les arabo-musulmans, les Orientaux. Je ne veux pas que la Belgique soit le théâtre d’un prétendu choc des civilisations qui n’existe pas, selon moi. Sauf à force de l’entretenir.
Au lendemain de ces attentats, qu’attendez-vous du politique ?
Il faudrait essayer de sortir de l’opposition qui a dominé au cours des 25 dernières années entre, d’une part, les tenants d’une laïcité dure, radicale et, de l’autre, les partisans d’un multiculturalisme. On voit aujourd’hui les limites de l’opposition et surtout les limites de chaque camp.
On voit une laïcité qui est aujourd’hui de plus en plus instrumentalisée à des fins sécuritaires et identitaires. Ou bien une laïcité qui sous-estime le poids des inégalités, des discriminations, des humiliations que subissent les populations immigrées. Et de l’autre côté, on a un multiculturalisme qui est, je pense, aveugle aux pressions, aux rapports de force, de domination internes à la communauté musulmane et ne voit pas tous les problèmes qui se posent en matière de droit des femmes ou par rapport aux homosexuels par exemple. Il faudrait donc dépasser cette opposition. Dans la laïcité, ce qui est intéressant, c’est l’affirmation de normes. Je suis par exemple partisan de l’interdiction de signes religieux dans la fonction publique ou à l’école publique. Mais, à côté de ces normes, il faut des politiques anti-discrimination, d’égalité ou des politiques qui favorisent la reconnaissance d’un islam de Belgique redéployé. Pour moi, les deux ne sont pas contradictoires, les deux sont à faire. Il faut à la fois donner aux populations immigrées une place qu’elles n’ont pas dans la société aujourd’hui et réaffirmer les principes de la laïcité.
Est-ce que ce genre d’attentats peut servir de sursaut, peut permettre une prise de conscience ?
Non, je crains que des événements comme ceux-ci provoquent davantage un emballement. Je ne crois pas, hélas, au sursaut. Ceux qui défendent des politiques ouvertes, démocratiques vont avoir beaucoup de travail au cours des prochains mois. D’autant que des attentats, il risque d’y en avoir encore.