Le tournant théologique de la philosophie politique en France

Le tournant théologique de la philosophie politique en France

Il n’est pas jusqu’à la presse magazine qui ne se fasse l’écho d’un certain tournant théologique de la philosophie française[1]. A en croire Michaël Foessel[2], c’est dans le monothéisme chrétien ou juif que l’on trouve aujourd’hui « la meilleure critique du néolibéralisme », et non plus dans des paradigmes philosophiques ou idéologiques frappés d’obsolescence. Certes, il s’agit là d’un motif récurrent. Depuis le début des années 80, Régis Debray répète inlassablement qu’il n’est pas de communauté politique sans quelque « point d’absence », « trou fondateur » qui marquerait son « incomplétude » ontologique, en même temps qu’il en garantirait l’unité et la cohésion[3]. Dans un monde qui réduit tendanciellement la communion à la communication, le symbolique à l’informatique, il n’a de cesse d’en appeler au sacré des institutions séculières (République, laïcité, école, musées, frontières, etc.). A première vue, cette thèse l’oppose à Marcel Gauchet, qui fait quant à lui du « désenchantement du monde », autrement dit de la sortie de la religion, la condition d’émergence de la démocratie entendue comme société de l’autonomie individuelle et collective. Mais à partir du moment où la religion est identifiée comme cet irréductible foyer d’altérité à partir duquel l’autonomisation du politique a été possible, il était inévitable que Gauchet s’inquiétât de plus en plus de l’effacement des institutions publiques, héritières du complexe théologico-politique, face à l’individualisme et à l’universalisation du marché. Si nous voulons préserver le pouvoir de délibération et de décision collective du demos, il nous faut donc paradoxalement, selon lui, préserver la « matrice éternelle de la dépendance », non plus envers la transcendance de quelque dieu, mais de l’institution elle-même. Autrement dit, l’autonomie n’est possible que sous la forme impure d’un compromis avec l’hétéronomie, seul espoir que le principe d’humanisation ne s’inverse pas en mouvement de déshumanisation[4].

Mais s’il est déjà remarquable que ce motif d’une dépendance du politique à l’égard du religieux ait été développé jadis par d’anciens militants révolutionnaires, il est encore plus remarquable qu’il ressurgisse aujourd’hui au cœur même de la gauche radicale[5]. Le percutant petit ouvrage d’Alain Badiou sur Saint Paul est symptomatique de ce geste critique d’un genre nouveau. Dans la préface, Badiou rapproche « l’emprise communautaire » à laquelle Saint Paul cherche à soustraire l’humanité, du monde contemporain dominé par le relativisme des identités (ethniques, raciales, religieuses, sexuelles, etc.), dont « le réel unificateur » résiderait dans la forme marchandise, c’est-à-dire le capitalisme. Les deux logiques identitaire et monétaire sont donc complices, et seule peut les interrompre, pour y résister, une vérité surgissant comme absolument singulière et absolument universelle. L’important dans le geste de Saint Paul, pour Badiou, n’est certes pas dans la « fable » de la Résurrection, mais dans le processus subjectif qui articule cet événement même à la déclaration qui en énonce la vérité et à la fidélité constamment réactualisée à cette déclaration – processus proprement révolutionnaire, « dont nous dépendons encore », où Badiou voit le chiffre de tout universalisme[6]. Agamben[7] et Zizek[8] lui emboîteront le pas, ainsi que Negri et Hardt (évoquant, eux, le « Poverello » de François d’Assise[9]), tandis que Daniel Bensaïd s’inspirera du pari de Pascal pour repenser le sens de l’engagement politique[10]. Moins radicaux politiquement, des philosophes de la plus jeune génération ont entrepris de revisiter la figure de Moïse dans un sens politique[11] ou de réinterroger le thème de l’apocalypse et de la fin du monde[12].

Ces coups de sonde dans le Zeitgeist autorisent-t-ils pour autant à parler de « tournant théologique » ? Et quand bien même, pourquoi faudrait-il s’en inquiéter ? Il ne s’agit nullement, on s’en doute, de se faire le gardien d’une orthodoxie laïque fondue en républicanisme transcendantal, à manière d’un Henri Pena-Ruiz[13], ni d’affirmer, sur le ton viril d’un Michel Onfray, qu’il n’y a de posture authentiquement subversive et libératrice que dans l’athéisme et « l’athéologie ». Mais il faut quand même se demander dans quelle voie s’engage la critique philosophique quand elle s’appuie sur des référents de type religieux, et si la radicalité qu’elle gagne en mobilisant un imaginaire de l’altérité absolue ne se paie pas du prix d’une impuissance à penser la transformation du monde en ce monde-ci ? Car si nombre de mouvements religieux n’ont pas attendu Marx pour vouloir « transformer le monde », ce n’est que sous condition de modernité, c’est-à-dire de sécularité, que le monde a à être changé en ce monde-ci, dans l’immanence de l’action citoyenne hic et nunc, par ceux-là même qui l’habitent et le constituent, et non pas en un autre monde, en un « au-delà » qui met toute universalité proclamée à distance de la citoyenneté – comme c’est le cas, de façon flagrante, chez Saint Paul. Car cette distance même suppose un certain rapport au sacré (comme absolument séparé, sauf, indemne) qui interdit ce dont la modernité est porteuse, à savoir, selon le mot de Marx, la coïncidence de la sécularisation (Verweltlichung) et de la réalisation (Verwirklichung)[14]. Prenons donc bien conscience de ce qui est engagé dans la reprise de motifs religieux par les pensées contemporaines de l’émancipation : dans un monde caractérisé par l’individualisme ou la désaffiliation (Robert Castel) croissante des individus, livrés de ce fait à la concurrence et à l’isolement, nous sommes en effet en déficit de communauté – non pas, certes, de ces communautés exclusives que sont les nations ou les races, corrélats de l’isolement planétaire -, mais en déficit d’une communauté à la fois affective et universelle, dont le modèle est précisément fourni, selon Debray, par l’expérience religieuse par excellence qu’est la communion – qui « ne dissocie pas l’obédience de l’empathie », et qui « conjoint l’horizontale – être membre de – à la verticale – adhérer à » dans une équation qui est celle « de tout groupement ayant vocation à durer » [15]. Or, une telle communion n’est sans doute possible que comme expérience de la sacralité, de quelque chose de séparé qui nous précède et nous excède précisément parce qu’il est l’indemne sain et sauf, hors de toute prise humaine historique. C’est cette expérience du sacré qui me semble faire problème : elle est cela même qui, sous condition d’aliénation marchande, fascine et inspire les pensées contemporaines de l’émancipation, mais aussi, dans le même temps, ce qui rend rigoureusement impossible la « sécularisation-réalisation » qu’elles appellent de leur vœu. Il y a « tournant théologique » à partir du moment où, tout en prétendant écarter la religion, l’on veut garder le religieux, c’est-à-dire se déprendre des figures du sacré tout en réactivant la structure même de la sacralité comme support d’une expérience subjective qu’on espère décisive. Je ne crois pas, pour ma part, qu’une telle expérience soit compatible avec l’historicité propre à la praxis citoyenne moderne. En tout cas me concédera-t-on que cela fait problème …

Sur ce point, je rejoins la mise en garde de Bertrand Ogilvie à l’égard d’une certaine anthropologie française qui, tout aussi oublieuse de l’historicité, serait pareillement tentée par la posture crypto-théologique[16]. Selon Ogilvie, à partir des années 80-90, on a assisté à un « renversement de l’articulation historicité / émancipation » telle qu’elle avait structuré le champ idéologique pendant deux siècles. Depuis disons 1789, le discours de l’historicité et de la plasticité de l’homme (perfectibilité rousseauiste, praxis hégélienne-marxiste, Dasein heideggerien, pour-soi sartrien, etc.) justifiait les revendications insurrectionnelles du parti « progressiste » contre toute forme d’essentialisme, tandis que les détenteurs du pouvoir assumaient un discours « conservateur » au nom d’une nature immuable de l’homme. Mais la révolution néolibérale, indique Ogilvie, a tout simplement inversé les termes du débat. Le « néo-darwinisme » pratique du pouvoir (économique, politique ou biopolitique), notamment en matière de manipulations génétiques, de sexualités et de parentalités, a poussé certains intellectuels, au premier rang desquels les psychanalystes, à endosser la fonction de « défenseurs de l’humain comme sacré »[17]. Résultat : un étonnant croisement de position : « la position qui jusque-là était considérée comme portant atteinte au fondement de l’ordre politique, l’insistance sur l’historicité de l’humain, présupposé général d’une théorie ou d’une idéologie de l’émancipation, apparaît aujourd’hui comme susceptible de justifier un nouvel ordre libéral, alors que ce sont des positions d’allure naturaliste, s’appuyant sur des représentations de l’humain intemporelles et structurelles qui prétendent assumer la défense de l’acquis des émancipations passées »[18].

Voilà qui confirme le diagnostic selon lequel il y aurait bel et bien quelque chose comme un « tournant théologique » de la pensée politique française. L’expression fait évidemment écho au brulot salutaire publié en 1991 par Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie[19], où était dénoncée l’application de la méthode phénoménologique, par des philosophes comme Lévinas, Henry ou Marion, à des expériences telles que l’« autrement qu’être », la transcendance, le visage d’Autrui, etc. Aux yeux de Janicaud, parler de « phénomène » quand précisément rien n’apparaît, rien ne se donne, revient à émousser le tranchant critique de la phénoménologie et en faire le contraire de ce qu’elle était au départ, à savoir, selon la formule qui ouvre L’Etre et le Néant, une entreprise de «  réduction de l’existant à la série des apparitions qui le manifestent »[20]. A fortiori, ne peut-on craindre que le recours à ces mêmes catégories de transcendance, appel, obédience, fidélité à l’Autre, etc., par la philosophie politique cette fois, ne l’éloigne du projet d’émancipation individuelle et collective dont elle prétend se réclamer ?

Pour comprendre les raisons de ce tournant théologique, et bien percevoir les enjeux qu’il soulève, je propose dans un premier temps de remonter au moment où s’opère la désintrication du théologique et du politique, et où se laissent voir en même temps les ambiguïtés (porteuses de « rechutes ») qui l’ont accompagnée. Contrairement au narratif ressassé par un certain rationalisme, le moment crucial de la désintrication du théologique et du politique ne se situe pas lors des « Lumières », aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais au milieu du XIXe, dans cette période qui ferme ce que Eric Hobsbawm appelle « l’ère des révolutions ». C’est en effet à ce moment-là qu’émergent, de concert, la démocratie (à la fois comme concept « positif » et comme forme de société) et la sociologie (à la fois comme discipline scientifique et comme énoncé d’un problème dont le « socialisme » se proposera d’être la solution)[21]. Autrement dit, il faut partir de l’idée que les sciences sociales sont de « valeur intrinsèquement démocratiques »[22], de même que la démocratie se déploie sur un plan immanent de la société, ce qui en fait (comme Tocqueville l’avait bien vu) tout autre chose qu’un simple régime politique.

Nul mieux que Claude Lefort n’a rendu compte de l’avènement de la démocratie comme effacement de l’institution théologique du corps mystique de la Nation, dont le roi était l’incarnation et le garant, au profit d’une division originaire du social faisant désormais du lieu du pouvoir un « lieu vide », au sens où il est interdit aux gouvernants de s’approprier, de s’incorporer le pouvoir. Les mécanismes de l’exercice du pouvoir demeurent évidemment visibles, mais le lieu du pouvoir s’avère quant à lui infigurable. Or, cet effacement de toute autorité incontestée au sommet de l’Etat entraîne celle de l’unité substantielle de la société. Car si le pouvoir n’est plus incorporé dans une personne ou un groupe ayant statut de « sacré », la société ne peut plus se figurer elle-même comme un corps : désormais les rapports sociaux (hommes/femmes, maîtres/serviteurs, autochtones/ étrangers, etc.) cessent de paraître intangibles. Une logique égalitaire et émancipatrice peut alors s’ouvrir, faisant de la société démocratique une société historique « désormais vouée à accueillir l’irreprésentable » [23]. Autrement dit, « la démocratie s’institue et se maintient dans la dissolution des repères de certitude. Elle inaugure une histoire dans laquelle les hommes font l’épreuve d’une indétermination dernière, quant au fondement de la Loi, du Pouvoir et du Savoir, et au fondement de la de la relation de l’un avec l’autre, sur tous les registres de la vie sociale »[24].

Insistons-y : la désincorporation du pouvoir est opérante, elle produit quelque chose de nouveau : le lieu vide du pouvoir ouvre un espace public de compétition et de débat qui est sans terme et sans garant, qui s’entretient de la division et du conflit sans cesse relancés. Paradoxe de la démocratie : « l’aménagement d’une scène politique, sur laquelle se produit cette compétition, fait apparaître la division, d’une manière générale, comme constitutive de l’unité même de la société. Ou, en d’autres termes, la légitimation du conflit purement politique contient le principe d’une légitimité du conflit social sous toutes ses formes »[25].

Prolongeant et infléchissant à la fois Lefort, je propose de définir la démocratie comme l’institution du conflit, au double sens, objectif et subjectif, du génitif : institution du conflit, au sens où la démocratie n’est en un sens que la reconnaissance du conflit sous toutes ses formes, la place laissée aux luttes et aux revendications sociales – jusqu’à la désobéissance civile et la résistance à l’oppression ; mais aussi institution du conflit, c’est-à-dire inscription et régulation du conflit dans et par le droit, à travers ce qu’Althusser appelle les « appareils (répressifs et idéologiques) d’Etat ». Les deux mouvements sont nécessaires à la dynamique démocratique, et le conflit et l’institution, ce que l’on voit bien a contrario quand l’un des deux manque à l’autre. Quand l’institution ne laisse pas d’espace au conflit, efface toute forme de division à soi du social, elle régresse à l’état de « police » exerçant, au nom de l’unité et du consensus, la plus grande violence à l’égard des groupes « minoritaires » refoulés dans l’inframonde ; inversement, quand le conflit est affrontement nu, non réglé par quelque institution éthico-juridique, il est synonyme de guerre ou de terreur – c’est-à-dire fantasme d’une paix définitive coïncidant avec l’élimination totale de l’ennemi. Tandis qu’à l’inverse, la démocratie est cette forme de société qui assume l’historicité mixte et incertaine (ni ordre pur, ni désordre pur) de l’institution du conflit ; qui s’efforce de contrôler la violence inhérente à toute communauté humaine en échappant au rêve mortifère de la non-violence absolue – rêve que poursuivent les quêtes symétriques de l’institution sans conflit (ordre pur, fascination de l’Un, etc.) et du conflit sans institution (destruction rédemptrice, création d’un « Homme Nouveau », etc.).

Comme institution du conflit, comme affirmation d’une historicité impure, la démocratie a donc émergé de la désintrication du politique et du théologique, mais il était inévitable qu’elle restât hantée par celui-ci. Et c’est sans doute dans le discours épistémique qui a décrit avec le plus de clarté (et parfois d’enthousiasme) la sécularisation du politique, à savoir la sociologie du XIXe siècle, que le religieux réapparaît comme cette limite qui ne cesse de travailler la démocratie. Plus précisément encore, je fais l’hypothèse que Marx et Durkheim occupent les deux limites « théologiques » entre lesquelles le discours sociologique sur le politique s’est construit : limite d’un conflit sans institution, avec Marx ; limite de l’institution sans conflit, avec Durkheim. Chez le premier, le rêve d’une réconciliation de la société avec elle-même prend la forme d’une ultime lutte historique, par-delà tout ancrage institutionnel ; chez le second, celle d’une institution sociale érigée en Autre transcendant les intérêts individuels – ces deux « limites » figurant les ressources à la fois théoriques et idéologiques du tournant théologique auquel nous assistons aujourd’hui, dans lequel je propose donc de voir une reformulation de ce qui reste de religieux chez Marx pour une part, et chez Durkheim pour une autre part.

Ce qui reste de religieux chez Marx, Balibar l’a identifié comme le « moment messianique » de sa pensée, par symétrie avec le « moment machiavélien » qui lui serait pourtant contemporain[26]. En effet, dans les deux textes de Marx sur la philosophie hégélienne de l’Etat de 1843 et de 1944[27], on observe, dit Balibar, une tension constitutive : d’un côté, le prolétariat est défini comme agent pratique de la « vraie démocratie », qui ne peut être qu’une démocratie non-étatique et non-représentative : c’est le moment machiavélien, car authentiquement politique ; d’un autre côté, il est défini comme ce sujet de l’histoire qui n’était que déréliction et anéantissement, victime d’un « tort absolu », mais dont l’émancipation prochaine coïncidera avec l’émancipation de l’humanité tout entière, la réalisation totale de l’essence humaine : c’est le moment messianique, celui d’un renversement de la passivité en activité, d’une rédemption historique sécularisée, selon le schéma de la kénose christique qui fait de l’expérience de l’extrême dépouillement la condition du salut et de la gloire. On trouverait ainsi chez Marx « le surgissement d’une dimension « impolitique » au cœur de la politique elle-même, associée à la fonction rédemptrice qu’y assume le prolétariat »[28]. Dans cette perspective, la critique marxiste de la religion comme illusion, mystification (« opium du peuple ») – critique héritée, comme on sait, de l’athéisme de Feuerbach – apparaît autrement plus complexe que les interprétations platement matérialistes le donnent à penser : car d’un côté, comme « expression de la misère réelle » mais aussi comme « protestation contre la misère réelle », « âme d’un monde sans cœur », la religion est certes porteuse d’aliénation, mais aussi dotée d’une réelle dimension critique et émancipatrice ; d’un autre côté, en tant que seule force pratique capable de transformer le monde et de libérer l’humanité, le prolétariat apparaît chargé d’une mission véritablement rédemptrice, incarnant cette force messianique dont la religion (judéo-chrétienne) avait été la préfiguration.

Dans ce marxisme à la fois prophétique et critique (dont les figures tutélaires sont Walter Benjamin et Ernst Bloch), la lutte des classes échappe à tout déterminisme, toute linéarité cumulative, et même toute dialectique : elle est pure interruption qui n’institue rien, qui libère absolument les sujets de toute forme d’Etat ou de droit. Cette « limite » messianique d’un conflit sans institution, on la trouve aujourd’hui explicitement thématisée par Slavoj Zizek quand il loue le christianisme d’apporter « non la paix mais le glaive », d’être la seule religion capable – comme le communisme – de déclencher la violence du geste libre, d’assumer une sorte de négativité pure où amour et guerre se rejoignent[29]. Des développements semblables se retrouvent chez Agamben, dans une libre reprise de la « violence divine » benjaminienne, et de façon plus nette encore chez Badiou, dans l’éloge répété de la terreur et de la guerre comme expressions d’une « puissance collective déliée », et de la fraternité comme « passion discontinue », lutte à mort entre « nous » et « ce-qui-n’est-pas-nous »[30].

Ce qui est en jeu à travers la résurgence actuelle du marxisme messianique, c’est donc, pour reprendre l’expression de Roberto Esposito, la question de l’« impolitique » [31] qui serait logée au cœur même du politique – « lieu » impolitique de non-sens ou de suspens où violence et paix, force et loi, nature et culture, etc., deviennent indiscernables. L’impolitique, c’est la destitution de tout sens, de toute norme, au profit de l’utopie d’un monde réconcilié ; c’est le négatif et le conflit en tant qu’ils sont irréductibles à toute institution, et la contredisent au nom d’un avènement à venir. Mais une chose est de penser cette « limite » impolitique de la communauté, autre chose est justement d’en faire … une politique. N’est-ce pas là aussi que s’amorce le « tournant théologique » : dans la croyance que la pratique politique puisse (et doive) s’ordonner à quelque désinstitution originaire qui révèlerait la communauté à elle-même ? Comme si, de l’irréductibilité du conflit à toute institution, on déduisait la possibilité de passer par-delà celle-ci, pour faire coïncider le politique avec la part maudite ou sacrée qui le borde. A contrario, observons que quand Jacques Derrida réinvestit le thème du « fondement mystique de l’autorité » chez Montaigne et Pascal puis, dans la foulée, celui de la « violence divine » chez Walter Benjamin – violence impolitique, « juive » que ce dernier oppose à la « violence mythique », politique, « grecque »-, il insiste sur le fait que bien qu’hétérogènes et incommensurables, les deux dimensions sont vouées au « compromis », et cela « au nom de la justice même qui commande d’obéir à la fois à la loi de la représentation (Aufklärung, raison, objectivation, etc.) et à la loi qui transcende la représentation »[32]. N’est-ce pas précisément à ce type de « compromis » que veulent échapper ceux qui portent aujourd’hui leur réflexion à la « limite » du marxisme messianique ? Là se dessine une première figure théologico-politique, qui croit voir dans le conflit porté à son paroxysme l’avènement d’une communauté réalisant son émancipation par sa désinstitution même.

La seconde figure théologico-politique serait celle qui, tout au contraire, voit dans l’institution comme un être propre, tiers transcendant les individus et empêchant la socialité humaine de sombrer dans la conflictualité. On reconnaît ici l’idée de symbolique comme modalité sous laquelle quelque Autre est la référence au nom de laquelle sont assignées les places de chacun dans la société. André Tosel montre très bien que cette notion de « symbolique » est le grand acquis de l’anthropologie française de Durkheim à Lévi-Strauss, et comment elle a permis à ceux-ci de renouveler en profondeur la compréhension du religieux : alors que chez Marx, héritier (via Feuerbach) des Lumières radicales du XVIIIe siècle, le religieux n’est envisagé que comme modalité de l’imaginaire, c’est-à-dire conscience aliénée, inversée du réel, dépourvue de consistance propre, chez Durkheim, au contraire, il est appréhendé comme une réalité symbolique à part entière, un système de croyances et de pratiques relatives à des choses « sacrées » dont la fonction est d’unir pratiquement les individus au sein d’une même communauté. Que Durkheim ait perçu la fonction en quelque sorte « positive » de la religion découle de sa conception évolutive de la société, de la solidarité mécanique (caractéristique des sociétés traditionnelles), à la solidarité organique, propre à la société moderne, où les individus acquièrent une relative autonomie, mais que Durkheim se refusera toujours à concevoir comme une simple addition d’éléments préexistants, à partir desquels elle puisse être déduite. Au contraire, la société constitue un ordre de réalité spécifique, constitué de représentations collectives fonctionnant comme des structures d’obligation à l’égard des acteurs sociaux. Car la grande question de Durkheim, c’est de comprendre ce qui oblige socialement l’individu, c’est-à-dire ce qui le contraint extérieurement, par menace de sanction, mais aussi ce qui le pousse à y adhérer personnellement, sous la forme de croyances intériorisées. Or cette ambivalence, ce mixte de répulsion (motivant la contrainte) et d’attirance (engendrant le consentement) à l’égard de ce que la société impose, c’est bien sûr dans le sacré (ce qui est séparé, interdit, que l’on redoute et qu’on adore à la fois) que Durkheim en trouvera la formule en quelque sorte cristalline. Derrière les deux institutions normalisatrices propres aux sociétés organiques que sont le droit et l’éducation, Durkheim n’a pas de mal à retrouver le religieux, qui est à ses yeux non seulement l’institution par excellence des sociétés mécaniques, mais sans doute l’institution en tant que telle. D’où l’idée bien connue selon laquelle l’Autre (dieux ou Dieu) n’est qu’une hypostase de la Société, et donc en retour, que toute société se pose nécessairement comme Autre exprimant le caractère impersonnel des rapports sociaux par-delà les rapports interpersonnels.

Dans une telle conception où la société, comme lien solidaire, existe au sens fort, irréductiblement, les variations, les dysfonctionnements, les conflits en général, ne peuvent être perçus que comme une menace, celle de l’« anomie », du déficit normatif menaçant la cohésion de la communauté autant que la personnalité des individus. A l’inverse d’un Marx, à l’égard duquel, fait observer Pierre Macherey, Durkheim exerce « un véritable geste censure », « la solidarité peut évoluer, elle peut entrer en crise ou mal fonctionner, sans qu’il y ait lieu de prendre en compte, en arrière d’elle, l’ensemble complexe de conflits ou de luttes dont elle a à effectuer tant bien que mal la résolution conjoncturelle et du même coup précaire »[33]. Jamais le sociologue français ne semble soupçonner que la société comme telle, toute formée, ça n’existe pas, qu’une société n’est peut-être pas un Tiers « naturellement » producteur de solidarité, mais un ensemble de rapports sociaux traversés par des conflits irréductibles.

Voilà qui me fait dire que Durkheim pense le social sous la modalité d’une institution sans conflit, comme Marx, pour sa part, pense le social sous la modalité du conflit sans institution. Ce que la sociologie française gagne en appréhendant le religieux (et, dans la société moderne, le droit ou l’école) comme réalité symbolique, elle le perd en sous-estimant la part d’aliénation, donc de conflictualité, qui la traverse ; symétriquement, là où le marxisme montre sa capacité critique à soulever le voile imaginaire de la religion pour y débusquer la réalité des luttes sociales, là même il révèle son incapacité à prendre en compte l’institution symbolique autrement que comme instrument de domination aux mains d’une classe particulière. Autrement dit, Durkheim a vu ce qui est resté ignoré par Marx, et vice et versa. Et n’est-ce pas au croisement de ce double déficit critique que le religieux réapparaît, chez l’un comme chez l’autre ? Chez Marx, la critique de l’imaginaire religieux débouche finalement sur le rêve (lui-même illusoire) d’un âge de l’histoire dépourvu d’illusions ; chez Durkheim, l’insistance sur le symbolique comme réalité propre l’amène à ériger la société en un Autre à l’égard duquel les acteurs sociaux ont contracté, comme à l’égard d’un Dieu, une véritable dette d’existence.

A partir de Durkheim, un autre tournant théologique de la pensée politique française peut s’opérer, comme le voit chez Jacques Lacan et ses émules. Car il ne faut pas s’y tromper : s’agissant du « symbolique » et de « l’ordre symbolique », Lacan s’inspire bien plus de l’anthropologie française que de Freud – d’une certaine anthropologie française, en vérité, passée au filtre d’un néo-comtisme conservateur (théorisé et incarné un temps par Maurras, dont Lacan a été idéologiquement proche[34]), puis revisitée à l’aune du structuralisme de Lévi-Strauss. Le résultat de cet alliage baroque, voire monstrueux, c’est une sorte d’« anthropologie catholique du Père »[35] qui exerce une influence considérable – et à vrai dire grandissante – sur le discours semi-savant en sciences humaines sur les jeunes, la sexualité, les nouvelles technologies médicales, etc., justifiant à-tout-va la « perte des pères et des repères », la tyrannie du « moi » voulant satisfaire tous ses fantasmes, le déni de la « différence sexuelle » à l’origine du mariage homosexuel, des mères-porteuse, du clonage, etc. Le tournant théologique de la philosophie n’a ici plus rien de métaphorique : il rejoint le discours le plus platement idéologique des Eglises, celle de Rome en tête.

Le coup de force de Lacan, comme Michel Tort l’a montré, c’est d’avoir outré le rôle du Père symbolique qui n’était, chez Freud, que l’opérateur d’une transformation des investissements libidinaux en identifications, pour en faire un Père interdicteur, dépositaire de la Loi qui institue le sujet en le séparant d’avec l’univers imaginaire de la mère[36]. Coup de force à l’égard de Freud, mais aussi de Lévi-Strauss, car en identifiant la notion sociologique de « symbolique » à la position du Père dans l’inconscient du sujet, Lacan va ontologiser en « Ordre Symbolique » un écart anthropologique (entre sexes et entre générations) qui prend pourtant, à travers les sociétés, les formes les plus diverses. En utilisant de surcroît – et en toute conscience – une notion aussi chargée que « le Nom du Père », Lacan ne pouvait suggérer plus clairement que le « théologique » est inéliminable chez l’être humain, que ce dernier sera toujours sous la coupe d’un Autre seul à même de structurer son inconscient et lui permettre de sortir de ses désirs archaïques. On sait que Pierre Legendre, par un coup de force supplémentaire, va appliquer la grille lacanienne à la Renaissance du droit du XIIe siècle et ériger l’Etat lui-même en Père symbolique, Référence, etc., en tant qu’il serait garant du droit civil qui inscrit chacun de nous dans l’ordre de la filiation, fondement de tout ordre symbolique. Tout est alors en place pour une lamentation sans fin sur l’abandon de cette fonction d’institution du sujet, la dictature grandissante de la Science et de la Démocratie et du Marché, et la « conception bouchère » de la vie qu’ils nous imposent. Plus rien ne venant « interdire » les fantasmes de « l’ego-roi », notre civilisation serait celle de la dé-Référence et de la dés-institution.

Les anthropologues ont eu beau prendre leurs distances avec ce type de discours, au grand dam de Lacan lui-même[37], ou multiplier les mises en garde, comme Godelier contestant formellement l’assimilation du symbolique à la figure du Père[38], nombre de juristes, psychologues, travailleurs sociaux, etc., tiennent aujourd’hui pour acquis le caractère « anthropologique » de la déglingue de « l’Ordre symbolique » où nous serions tombés. Un juriste comme Alain Supiot, spécialiste éminent de droit social et de droit du travail, avalise l’idée que l’Etat « ne peut se maintenir sans mobilier un certain nombre de croyances fondatrices échappant à toute démonstration expérimentale »[39], ce qu’on lui accordera sans mal, du reste, mais aussi que le droit a une fonction non seulement sociale mais psychique « d’interposition d’un tiers entre l’homme et ses représentations »[40], ce qui est par contre hautement contestable et ne laisse pas d’inquiéter – car le rôle d’une théorie critique du droit est-elle d’en appeler à ce que le législateur et le juge structurent le psychisme des sujets de droit, ou n’est-elle pas plutôt, au contraire, d’armer ceux-ci pour leur donner les moyens de résister à une telle emprise normative ?

Dans un autre registre, René Girard a lui aussi réussi à élaborer une anthropologie qui identifie le symbolique à la structure même du religieux, sous la forme bien connue du « Bouc-émissaire ». On en connaît l’argument : la rivalité mimétique qui est le fond de toute socialité humaine ne peut être maîtrisée que par la focalisation de cette violence diffuse contre une victime désignée de façon arbitraire, mais aussitôt nimbée de « sacralité », puisque c’est par sa médiation que le groupe retrouve sa cohésion et son unité. Toute institution serait donc, à la base, le produit d’une violence qui s’exacerbe en se concentrant sur un même objet à la fois élu et exclu, tiers médiateur producteur de communauté. En dépit des démentis apportés par les historiens et les ethnologues, Girard n’a jamais cédé sur le caractère universel, ou si l’on veut transcendantal, de ce dispositif du bouc-émissaire, dont seul nous délivrerait le christianisme – puisque le Christ, en s’offrant lui-même en ultime victime expiatoire, aurait mis fin au régime politique du sacrifice, ouvrant pour l’humanité une nouvelle ère de non-violence – sous condition, bien sûr, de conversion à sa « bonne nouvelle » …

Girard a inspiré de nombreuses démarches théoriques, dont la plus connue est sans doute celle de Jean-Pierre Dupuy[41], mais la plus originale peut-être, celle de « l’école de la Régulation » en économie. Opposant l’hypothèse mimétique girardienne au mythe libéral de l’homo oeconomicus rationnel et maître de son désir, Michel Aglietta et André Orléan soutiennent que la monnaie se trouve dans la même situation de tiers médiateur que l’objet sacrificiel dans les sociétés premières[42]. Ils s’appuient sur les hypothèses de Bruno Théret sur l’origine de la monnaie comme relation de représentation du monde invisible, moyen de règlement de la dette primordiale des individus envers les forces invisibles, bientôt relayées par les pouvoirs temporels souverains[43]. La monnaie, autrement dit, n’est pas à proprement parler un bien économique mais l’expression de la communauté dans son ensemble, adossée à une souveraineté qui a pour fonction de contenir la violence mimétique inhérente au marché. L’intérêt incontestable de cette théorie, c’est qu’elle rompt avec la doxa libérale de la « main invisible » qui conduit au déni de la violence propre aux rapports économiques ; c’est aussi qu’elle conclut à la nécessité d’une régulation de l’économie par l’Etat garant du pacte social qui fait de la société une « communauté de destin ». Le problème, c’est que cette salutaire réhabilitation du politique se paie du prix d’une sacralisation rampante de l’institution en tant que telle (et même de l’institution monétaire) : issue du choc des désirs qui se contrarient les uns les autres, mais néanmoins capable de produire la croyance collective qui permet d’y substituer des rapports de confiance, l’institution est ainsi créditée d’une sorte d’auto-transcendance par rapport à la violence mimétique originaire.

Le point commun entre les théories de Lacan et de Girard, en dépit de ce qui les différencie et même les oppose, c’est précisément une même anthropologie qui fait du rapport à l’autre un rapport fondamentalement mimétique, donc rivalitaire, que seule l’institution symbolique (Autre, Bouc-émissaire, Souverain, etc.) peut empêcher de sombrer dans la violence spéculaire. Le retour du théologique n’est-il pas inévitable, dès lors que l’instance symbolique tierce interrompant la violence intersubjective est forcément située en extériorité par rapport à celle-ci ? Et pareillement inévitable, dans la foulée, que le conflit social ne peut avoir ici de sens que négatif, pur symptôme de cette violence originaire, et non principe générateur de la société et de l’institution elle-même ?

Comme on le voit, c’est autour de la notion de « symbolique » que se resserre la question du tournant théologique de la pensée politique française. A cet égard, il faudrait certainement examiner (après le premier « moment » qui est celui de la naissance de la pensée sociale au XIXe siècle) ce qui s’est joué durant le « moment » structuraliste des années 1950 et 1960, et comment la pensée politique française a pu, dans une phase ultérieure, élaborer des dispositifs qui s’en inspirent directement sur le plan théorique, mais qui s’en éloignent diamétralement sur le plan idéologique. En effet, comme je l’ai déjà suggéré, il y a loin des enseignements d’un Lévi-Strauss ou d’un Godelier aux spéculations d’un Lacan ou d’un Girard, pour ne rien dire de leurs émules respectifs. Au cours des années 80 et 90, une doxa « poststructuraliste » va s’élaborer, d’abord inspirée par des auteurs aussi différents que Jean-François Lyotard, Alain de Benoist ou Pierre Legendre, pour trouver, à partir des années 2000, une sorte d’équilibre doctrinal dont les ouvrages de Dany-Robert Dufour sont assez significatifs[44]. En guise de conclusion, je voudrais esquisser une critique de cette doxa politique poststructuraliste, pour montrer ensuite, en creux, quelle alternative on peut lui opposer.

Qu’énonce la doxa poststructuraliste française[45] ? Que l’être humain est un être de discours qui ne peut échapper à la structure trinitaire d’un « je » et d’un « tu » fixant ensemble l’absence hors de leur champ, en l’affectant au « il ». Sans ce lieu symbolique tiers qui permet la représentation de l’absent, autrement dit la Référence, le « je » et le « tu » sont condamnés au face-à-face rivalitaire et au déploiement des passions d’amour-haine. Le droit et la politique commencent dès lors qu’un Tiers symbolique est construit et mis en scène, sous la forme d’un Autre qui fait des petits d’homme des sujets proprement dits – à la fois assujettis à cet Autre et acteurs de la scène dont il est l’instituteur. Au centre de tout système symbolico-politique, on trouve donc quelque Tiers, Autre, Référence, etc., qui a structure de fiction (mythes, récits, grammaires, savoirs, etc.), mais de fiction opérante permettant aux sujets de se situer dans l’espace social et de donner sens à leur existence. L’histoire de la philosophie politique est celle de ces figures de Tiers, ou si l’on veut de ces « grands récits » de légitimation, d’abord religieux (totems, Esprits, dieux, Dieu, Roi divin), puis « laïques » (Peuple, Prolétariat, Race, etc.). Alors que dans l’espace théologico-politique, la Référence était fixée à une origine, un passé immémorial – n’autorisant de ce fait qu’un seul grand récit – , dans l’espace moderne, il prend la forme d’un projet d’émancipation universelle à réaliser dans l’avenir, qui suppose la remise en question des récits antérieurs. Sous condition de modernité, il y a donc pluralité d’Autres, et critique permanente de ceux-ci et de cette condition même.

La même doxa énonce ensuite que nous sommes entrés dans une nouvelle ère, celle de la postmodernité, avec la liquidation des grands récits modernes de l’émancipation. Plus aucun Tiers ne vaut pour le sujet postmoderne qui se trouve ainsi livré à lui-même, à son autonomie juridique et à sa liberté économique. Le capitalisme lui présente une infinité d’objets censés combler son désir, au sein d’un réseau marchand où tout se vend et s’achète, mais qui échoue à se constituer en « Ordre symbolique ». Ne pouvant plus s’orienter, se référer à ce qui le dépasse, le sujet devient autoréférentiel, narcissique, oscillant entre fantasme de toute-puissance et angoisse de toute-impuissance. Nous vivrions l’ère de la désymbolisation généralisée, avec pour conséquence la rechute dans les rivalités mimétiques et la violence archaïque.

En resserrant la discussion autour des thèses nodales du structuralisme, je me limiterai à quatre observations critiques :

1)   s’il est vrai qu’« il n’y a de structure que de ce qui est langage »[46], et que le mérite du structuralisme fut de rompre avec l’économisme qui dominait le marxisme aussi bien que le libéralisme, il fut aussi d’étendre la notion de symbolique au-delà de ce que l’on entend généralement par imaginaire (mythes, récits, etc.), jusqu’aux dimensions les plus matérielles de l’existence, notamment socio-économiques (comme la démarche d’Althusser en atteste). Or, celles-ci sont notoirement absentes des spéculations de Legendre, Dufour et Cie, comme si le tiers symbolique, ses transformations, son histoire, ne concernaient que la « superstructure ». Or, l’apport majeur du structuralisme est au contraire d’avoir montré que le symbolique fait « tiers » parce qu’il met en relation et en circulation les deux dimensions, les deux « séries » du matériel et de l’imaginaire, du signifiant et du signifié, de l’infrastructure et de la superstructure ; c’est d’avoir montré, autrement dit, qu’il y a du langage dans les rapports matériels, et de la matérialité dans les rapports idéologiques. Et comme une structure n’est rien d’autre que le système de différences qui résulte de la mise en correspondance de ces séries, toute analyse structurale sera forcément une exploration en « abyme » des différentes séries, des différents niveaux, sans jamais pouvoir atteindre quelque structure « originaire » ;

2)   ce qui caractérise la métaphysique contemporaine du théologico-politique, c’est qu’elle neutralise la structuralité de la structure par un geste qui consiste à lui donner un centre, à limiter le jeu de la structure en le référant à quelque point de présence, origine, archè, telos, etc.[47] Les Tiers dont l’histoire politique ne serait que la déclinaison (dieux, Dieu, Roi divin, Peuple, etc.) n’ont donc pas seulement pour fonction « positive » d’assigner à chacun sa place de sujet dans l’espace social, mais aussi de neutraliser toute contestation de celui-ci, d’effacer sa fictionnalité intrinsèque en naturalisant les différences (homme / femme, maître / élève, intellectuel / manuel, etc.) qui forment le système global des relations sociales. On ne peut donc, comme le font les poststructuralistes français, à la fois avérer cette structure de fiction de tout Autre et se désoler de son effacement, qui résulte pourtant de cette « démystification » même ;

3)   car qu’est-ce que la modernité ou la démocratie, dans leur dimension critique fondamentale, sinon, en effet, la « découverte » que « le centre n’a pas de lieu naturel, mais est une fonction, un non-lieu où se jouent à l’infini des substitutions de signes », que toute structure est un « système dans lequel le signifié central, originaire ou transcendantal, n’est jamais absolument présent hors d’un système de différences » [48] ? Autrement dit, de même que la démocratie substitue à l’incorporation mystique du pouvoir l’efficace d’un « lieu vide » du pouvoir (Lefort), de même le structuralisme révèle-t-il que tout Tiers symbolique n’est jamais qu’une « case vide » entre des séries hétérogènes, ou pour reprendre l’expression de Lévi-Strauss, un « signifiant flottant » toujours en excès sur quelque signifié qui se présenterait comme origine fixe ou fondement[49] ;

4)   dès lors que l’histoire politique n’est qu’une substitution de centre à centre, et que l’invariant de cette présence n’est jamais qu’un effet de structure, on ne peut conclure qu’à la conflictualité intrinsèque de toute institution de sens. Mais cette conflictualité induite par le pluralisme irréductible des Tiers ne débouche pas seulement (comme le croit Lefort) sur un débat politique « sans terme et sans garant » dans l’espace public[50]; elle ouvre aussi le politique à l’hétérogénéité des séries, des niveaux, à « l’autre scène » du politique, à son hétéronomie constitutive, comme dit Balibar – non pas hétéronomie de l’Autre vertical, mais au contraire de « l’autre » souterrain : économique chez Marx, biopolitique chez Foucault, psychique chez Freud, etc.[51]. Ce déplacement du regard vers les matérialités de la politique, la doxa poststructuraliste française ne peut que l’éluder, car elle ne voit dans le vide du jeu des fictions et des signifiants que le manque (de Père, de repères, de sens, d’ordre, etc.), ce qui est propre à tout esprit théologique. Au contraire, pour le structuralisme, qui « n’est pas séparable, écrit Deleuze, d’un nouveau matérialisme, d’un nouvel athéisme, d’un nouvel antihumanisme », il ne saurait être question, par exemple, « de mettre l’homme à la place de Dieu pour changer de structure »[52], mais d’explorer celle-ci jusqu’aux « pratiques concrètes »[53] et rapports de force qui la travaillent et la constituent, pour en éprouver les limites et, partant, les points de résistance et de transformation.

Le tournant théologique de la pensée politique française s’est donc joué, selon mon hypothèse, en deux temps : dans un passage à la « limite » du marxisme messianique et/ou de la sociologie durkheimienne, d’abord ; dans un détournement des intuitions fondatrices de l’anthropologie structurale, ensuite. Par contraste, nous pouvons ainsi identifier les lignes de pensée théorique et pratique qui ont su, elles, s’alimenter à ces diverses sources, si fécondes, en maintenant le cap d’une philosophie réellement politique – si l’on veut bien admettre que tout « retour du refoulé » théologique fait précisément perdre à la pensée pratique sa dimension proprement politique, c’est-à-dire son immanence aux rapports sociaux et aux rapports de force dont elle est la critique active.

Parmi ceux qui se situent dans cette ligne de pensée (dont j’espère poursuivre l’inspiration dans un travail futur, plus complet et plus précis, sur « l’institution du conflit »), je me contenterai d’évoquer les travaux d’André Tosel et d’Etienne Balibar.

Comme je l’ai déjà signalé, André Tosel donne l’avantage aux analyses du religieux en termes de symbolique sur celles qui l’appréhendent comme processus imaginaire, tout en se distanciant très fermement de la manière dont Legendre, « qui ne connaît que le Dieu chrétien », donne à ce dernier « la fonction d’être la figuration absolue de l’Autre »[54]. Au contraire, tient-il à rappeler, « sous la permanence transhistorique de la référence à l’Autre en sa formalité structurale », il faut « prendre la mesure de la pluralité des contenus »[55], de l’historicité radicale qui en caractérise les diverses actualisations. Derrière le « retour du religieux » qui caractérise notre époque, il y a bien la question du Tiers symbolique ; mais Tosel ne veut pas nous instruire, à la manière de Gauchet, Debray ou d’autres, que tout collectif s’ordonne à la transcendance ou à la verticalité, mais au contraire que nous avons plus que jamais besoin de la raison « comme écart d’un ordre symbolique à lui-même »[56], « institution d’un espace de sens pour les luttes d’émancipation dans la condition de la finitude »[57] – finitude qui ne condamne donc pas le sujet à quelque impuissance finale ou servitude d’essence, mais qui en fait au contraire une condition ouvrant sur l’effort indéfini d’augmenter sa propre puissance d’agir.

Selon une perspective encore plus nettement fidèle au moment structuraliste de la pensée française, Etienne Balibar, dans Saeculum, s’interroge sur le « malaise de la sécularisation » qui provient (entre autres) de ce que la laïcité se définit de façon de plus en plus communautariste, pendant que, dans le même temps, les religions réinjectent dans notre modernité des formes ambivalentes d’universalisme[58]. C’est à nouveau la question du symbolique qui est posée, dans une tension irréductible entre culture (appartenance collective incarnée dans des normes, des signes de reconnaissance non généralisables) et religion (soumission à autorité d’une Loi, universalité en excès sur toute forme de vie particulière). Pour penser ce rapport de tension, Balibar réactive la notion d’idéologie, qui implique « une relation constitutive avec son propre dehors »[59], puisque par définition une idéologie ne peut tout contenir ni couvrir, est toujours idéologie de quelque chose qui hors d’elle et qui lui la conditionne, voire la détermine. Dans l’équation « culture + religion ± X = idéologie »[60], culture et religion sont chacune en excès sur l’autre, signalant une absence inhérente à leur somme (ce qui est le propre de toute structure articulant deux séries manquant l’une à l’autre[61]). Ce « », cet « élément d’extériorité interne », c’est « l’économie », « le pouvoir », « la domination »[62], bref la « mondialisation capitaliste », qui est bel et bien ce « réel » qui surdétermine aujourd’hui toute institution d’un Tiers symbolique.

La démarche « structurale » de Balibar, on le voit, ne consiste donc pas à voir la mondialisation capitaliste comme la cause d’un manque de sens, de Tiers ou d’ordre symbolique, qu’il s’agirait de combler en réinjectant de la culture et/ou de la religion (même sous la forme d’une religion séculière), mais comme la « matérialité du politique », cet « autre » sur lequel butent toute idéologie et toute politique, mais qui en même temps les conditionne et les « surdétermine ». En d’autres termes, il n’est pas possible de poser la question de l’institution symbolique sans poser celle des conflits qui la traversent, et donc aussi des luttes et des débats à travers lesquels ce « réel », cet « autre », se rappelle continuellement à elle.

C’est à une même conclusion qu’aboutit en définitive Bertrand Ogilvie quand, contre toute tentation de « naturaliser le symbolique », il précise que l’anthropologie lévi-straussienne (et aussi, à son avis, lacanienne) « n’a jamais prétendu au statut de norme », que « constater que l’humain est institué ne signifie pas qu’il doive l’être »[63]. L’alternative, poursuit-il, n’est pas « entre un ordre et un désordre dont il faudrait protéger la société par une réinjection de père et de repère », mais plus radicalement peut-être, entre « une existence et rien »[64] – alternative politique qui se joue sur le terrain toujours concret des conditions d’existence, de l’exploitation économique, de la domination, de la guerre, etc.. La déliaison ou la désaffiliation propres au monde moderne ne sont donc pas « des pathologies dont il faudrait guérir l’humain », mais « des aléas de l’histoire de l’humain lui-même, interne à sa logique conflictuelle »[65].

Au final, on se demandera d’ailleurs si l’un des nœuds du problème ne réside pas dans cette idée, qui a fini par acquérir statut d’évidence, selon laquelle la mondialisation, dans la mesure où elle conduit à l’ultra-individualisme et au narcissisme, détruirait tout Tiers, toute Référence, et nous précipiterait dans la désymbolisation. C’est, on l’a vu, une des antiennes de la doxa poststructuraliste française. Ne voit-on, au contraire, que la mondialisation nous sature de symbolique – à commencer bien sûr par cet ordre symbolique par excellence qu’est la monnaie, l’argent qui assigne à chacun sa place dans l’espace social selon qu’il soit solvable ou non, rentable ou « jetable » (pour reprendre une autre expression de Bertand Ogilvie[66]). La mondialisation ne fonctionne-t-elle pas aussi à coup de symbolique identitaire – nationale, ethnique, civilisationnelle, etc. ? Et le « réel » qui fait la matérialité du politique aujourd’hui, n’est-il pas dans l’articulation de plus en plus violente de ces logiques symboliques, de ces deux institutions du sens que sont le marché dominé par la valeur d’échange d’un côté et les communautés surdéterminées par les identités, de l’autre ? Quand on diagnostique la désymbolisation de la société, il me semble qu’on confond deux choses : le monde de la mondialisation est en effet un monde a-centré, ou plus précisément un monde où il n’y a de centre (« capitale » et/ou « capital ») que là où se concentrent les flux marchands les plus rentables ; mais cela n’en fait pas pour autant un monde a-structuré, a-symbolisé. Comme si nous pouvions dire qu’il n’existe pas de « système » capitaliste ! De telles conclusions sont désarmantes, à tous les sens du terme, et ne peuvent que nous conduire, de fait, à chercher le salut sinon dans la religion, en tout cas dans le religieux réifié en Autre, voire en « Tout Autre ». L’alternative restera toujours pour moi de travailler à l’institution du confit – soit à la fois à l’entretien de l’institution en vue de ménager toute sa place au conflit politique, point de butée de toute réalité sociale, et au conflit lui-même comme principe générateur de l’institution symbolique – ou, pour parler à nouveau comme Balibar, de « civilité »[67].

[1]Eric Aeschimann, « Le tournant théologique : l’universel, la transcendance, le divin… », Le Nouvel Observateur, 20 décembre 2012 – N° 2511.

[2] cité ibid.

[3] Régis Debray, Critique de la raison politique, Gallimard, 1981.

[4] Je suis ici la ligne d’interprétation tonique mais nuancée d’André Tosel, « Le système historico-politique de Marcel Gauchet : du schématisme à l’incertitude », in La Revue des Livres, n°8, 2008 (disponible http://www.revuedeslivres.fr/article-en-version-integrale-le-systeme-historico-politique-de-marcel-gauchet-du-schematisme-a-lincertitude-andre-tosel/).

[5] Pour une très éclairante mise au point des rapports entre gauche radicale et religion, cf. Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Zones, La Découverte, 2013, pp.44-48.

[6] Alain Badiou, Saint Paul. La fondation de l’universalisme, PUF, 1998, p.16.

[7] Outre les différents volumes d’Homo sacer, où les références théologiques abondent, cf. Giorgio Agamben, Le temps qui reste. Un commentaire de l’Épître aux Romains, trad. J.Revel, Payot-Rivages, 2004.

[8] Slavoj Zizek, Fragile absolu. Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ?, Flammarion, 2008.

[9] Antonio Negri, Michael Hardt, Empire, Canal, 2000

[10] Daniel Bensaïd, Le pari mélancolique, Fayard 1997 ;mais aussi Jeanne, de guerre lasse, Paris, Gallimard, 1991 ; Walter Benjamin, sentinelle messianique, à la gauche du possible, Plon, 1990 (rééd. Prairies ordinaires, 2010).

[11] Bruno Karsenti, Moïse et l’idée de peuple. La vérité historique selon Freud, Cerf, 2012.

[12]Michaël Foessel, Après la fin du monde, Critique de la raison apocalyptique, Le Seuil, 2012.

[13] On lira à ce sujet la critique acerbe mais argumentée de Marc Jacquemain, « Pena-Ruiz ou la France éclaire le monde », in Politique. Revue de débats, n°77, p.74-80

[14] Telle est la question, dont je reprends librement le motif, adressée précisément à Alain Badiou par Etienne Balibar, « Les questions du communisme », Colloque international « Communism, A New Beginning ? », organisé par les éditions Verso à Cooper Union, New York, 2011. Version française adaptée et corrigée parue sur le site du CIEPFC, 2012 (http://www.ciepfc.fr/spip.php?article307).

[15] Régis Debray, Les Communions humaines. Pour en finir avec « la religion », Fayard, 2005, p.59-60.

[16] Bertrand Ogilvie, La seconde nature du politique. Essai d’anthropologie négative, L’Harmattan, 2012.

[17] Ibid., p.156.

[18] Ibid., p.158.

[19] Le tournant théologique de la phénoménologie française (1991) et La phénoménologie éclatée (1998) ont été republiés dans un même volume : Dominique Janicaud, La phénoménologie dans tous ses états, Folio-essais, 2009.

[20] Jean-Paul Sartre, L’être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Gallimard, 1943, p.11.

[21]Je rejoins ici l’idée avancée par Bruno Karsenti, selon laquelle ce sont les sciences sociales, et non la philosophie des Lumières, qui représentent « le foyer épistémique majeur » de la modernité (Bruno Karsenti, D’une philosophie à l’autre. Les sciences sociales et la politique des modernes, Gallimard, 2013, p.176).

[22] Ibid., p.24.

[23] Claude Lefort, Essais sur le politique, Seuil, 1986, p.29.

[24] Ibid.

[25] Ibid., p.28.

[26] Etienne Balibar, « Le moment messianique de Marx », in Citoyen sujet et autres essais d’anthropologie philosophique, PUF, 2011, pp. 243-264. L’expression « moment machiavélien », forgée par l’historien Pocock, est appliquée à Marx par Miguel Abensour, La démocratie contre l’Etat : Marx et le moment machiavélien, Le Felin, 2004.

[27] Karl Marx, Critique du droit politique hégélien (1843), Editions sociales, 1975 ; « Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel » (1844), in Karl Marx, Œuvres III. Philosophie, Pléiade, 1982.

[28] Etienne Balibar, « Le moment messianique de Marx », in Citoyen sujet et autres essais d’anthropologie philosophique, PUF, 2011, p.244.

[29]Slavoj Zizek, La Marionnette et le nain Le christianisme entre perversion et subversion, Le Seuil, 2006.

[30] Alain Badiou, Le siècle, Seuil, 2005.

[31] Roberto Esposito, Categorie dell’impolitico, Bologne, Il Mulino, 1988, et le commentaire de Etienne Balibar, La proposition de l’égaliberté, PUF, 2010, p.170 sq.

[32] Jacques Derrida, Force de loi, 1994, p.144.

[33] Pierre Macherey, « Présentation de B.Karsenti, Politique de l’esprit et La société en personnes (études durkheimiennes), in Methodos. Savoirs et textes, 14/2014 (http://methodos.revues.org/3749).

 

[34] La filiation maurassienne de Lacan a été maintes fois démontrée, notamment par Didier Eribon, Une morale du minoritaire. Variations sur un thème de Jean Genet, Paris, Fayard, 2001 ; et Réflexions sur la question gay, Paris, Fayard, 1999.

[35] Michel tort, Fin du dogme paternel, Aubier, 2005.

[36] Pour une excellente critique de ce « coup de force » théorique, voir Ibid., p.96.

[37] « Lévi-Strauss est en train de reculer (…) il craint que, sous la forme de l’autonomie du registre symbolique, ne reparaisse, masquée, une transcendance pour laquelle, dans ses affinités, dans sa sensibilité personnelle, il n’éprouve que crainte et aversion » (Séminaire, II, Seuil, 1978, p.48)

[38] Maurice Godelier, Au fondement du politique. Ce que nous apprend l’anthropologie, Albin Michel, 2007.

[39] Ibid.

[40] Alain Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit, Seuil, 2005.

[41] Jean-Pierre Dupuy, La Marque du sacré : essai sur une dénégation, Carnets-Nord, 2009 ; Le Sacrifice et l’Envie. Le libéralisme aux prises avec la justice sociale, Calmann-Lévy, 1992.

[42] Michel Aglietta et André Orléan, La monnaie entre violence et confiance, Odile Jacob, 2008.

[43] Bruno Théret. Monnaie et dette de vie, L’Homme, 2009/2 (n° 190). Pour une critique argumentée de cette hypothèse, cf. David Graeber, Dette. 5000 ans d’histoire, Les Liens qui libèrent, 2013.

[44] Notamment Dany-Robert Dufour, Le Divin marché, Denoël, 2007, Folio, 2012 ; L’individu qui vient… après le libéralisme, Denoël, 2011.

[45] Exemplaire de cette doxa est le texte de Dany-Robert Dufour, « Portrait du Grand Sujet », in Raisons d’agir, 2001/2 – n°2, 9-25, Presses de Sciences Po.

[46] Gilles Deleuze, « A quoi reconnaît-on le structuralisme ? », in L’île déserte et autres textes (1953-1974), Minuit, 2002.

[47] Jacques Derrida, « La structure, le signe et le jeu dans le discours des sciences humaines, in L’écriture et la différence, Seuil, 1967, p.409.

[48] Ibid., p.411.

[49] Gilles Deleuze, « A quoi reconnaît-on le structuralisme ? », op.cit. ; Claude Lévi-Strauss, « Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss », in Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, PUF, 1954. Michel Foucault parle quant à lui d’un « échiquier de cases grises, à peine perceptibles, qui définissent la modalité d’une culture : c’est la trame de ces cases « négatives » que j’ai voulu appliquer à l’étude de l’histoire des systèmes de pensée » (Michel Foucault, « La folie et la société », texte n°83, Dits et Ecrits, Quarto-Gallimard, 2001).

[50] Il peut paraître paradoxal d’évoquer ici Cl.Lefort, dont on sait la critique qu’il fera des thèses structuralistes. Mais l’influence de ces dernières sur sa pensée, de Lévi-Strauss et de Lacan en particulier, via Merleau-Ponty bien évidemment, est incontestable (à ce sujet, cf. Nicolas Poirier, L’ontologie politique de Castoriadis, Payot, 2004.

[51] Etienne Balibar, « Trois concepts de la politique Emancipation, transformation, civilité », in La crainte des masses, Galilée, 1995.

[52] Gilles Deleuze, « A quoi reconnaît-on le structuralisme ? », op.cit., p.301. On se rappelle que Foucault, dans le final des Mots et les choses, écrivait : « de nos jours, on ne peut plus penser que dans le vide de l’homme disparu. Mais ce vide ne creuse pas un manque ; il ne prescrit pas une lacune à combler. Il n’est rien de plus, rien de moins, que le dépli d’un espace où il est enfin à nouveau possible de penser » (Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, 1966, p.353).

[53] « Il faut retourner la démarche philosophique de remontée vers le sujet constituant auquel on demande de rendre compte de ce que peut être tout objet de connaissance en général ; il s’agit au contraire de redescendre vers l’étude des pratiques concrètes par lesquelles le sujet est constitué dans l’immanence d’un domaine de connaissance » (Michel Foucault, «  Foucault », texte n°345, Dits et Ecrits, Quarto-Gallimard, 2001).

[54] André Tosel, Du retour du religieux, Kimé, 2011, p.103

[55] Ibid., p.102.

[56] Ibid., p.149.

[57] Ibid., p.18.

[58] Etienne Balibar, Saeculum. Culture, religion, idéologie, Galilée, 2012.

[59] Ibid., p.69.

[60] Ibid.

[61] Gilles Deleuze, « A quoi reconnaît-on le structuralisme ? », op.cit.

[62] Ibid., p.70.

[63] Bertrand Ogilvie, La seconde nature du politique. Essai d’anthropologie négative, L’Harmattan, 2012, p.159. Un peu plus loin, il ajoute : « comme le rappelle Lévi-Strauss dans son dernier texte publié, qu’il n’y ait de l’humain que dans le cadre de la Règle, voilà qui est indubitable. Mais dire laquelle est une tout autre affaire, où viennent se loger l’histoire, la lutte, le débat politique et culturel » (p.160).

[64] Ibid.

[65] Ibid.

[66] Bertrand Ogilvie, L’homme jetable, Amsterdam, 2011.Sur cette question des rapports entre capitalisme et symbolique, il y a chez André Tosel, je crois, une profonde hésitation (qu’il reconnaît par ailleurs), entre la thèse selon laquelle le capitalisme induit une désymbolisation généralisée de l’espace social (v° en particulier pp.110-116), et l’hypothèse (que je crois plus féconde) selon laquelle le capitalisme réenchante lui-même cet espace et institue son propre ordre symbolique sous la forme du fétichisme de la marchandise.

[67] Etienne Balibar, Violence et civilité, Galilée, 2010.

12 octobre 2014|Articles & Conférences|