Unité de recherches philosophiques sur les Matérialités de la Politique à l’ULg
Le MAP est une Unité de recherches en philosophie politique et sociale inscrite dans le département de Philosophie de l’Université de Liège. L’Unité propose une étude conceptuelle des matérialités de la politique, qui mobilise et interroge l’héritage philosophique du « moment français » des années 1960 (de Sartre à Foucault), tout en privilégiant les approches transversales et transdisciplinaires (en particulier les croisements avec l’anthropologie, la sociologie, le droit et l’économie).
Aborder la politique sous l’angle de ses matérialités, c’est d’abord en faire l’analyse en partant des objets extérieurs à la pensée, considérés dans leur contingence et leur historicité constitutives. Partir des matérialités, c’est partir de ce qui déborde de la pensée philosophique et la met au travail. En ce sens, le MAP reprend pour son compte deux attitudes philosophiques caractéristiques de la modernité :
- le matérialisme (de Marx à Althusser et Macherey), si l’on entend par là moins une philosophie réductionniste du corps ou de la matière, qu’un effort de problématisation de l’extériorité qui résiste à la pensée et la rapporte à sa finitude interne ;
- la philosophie critique (de Kant à Deleuze et Foucault), non pas au sens d’une recherche des fondements de la subjectivité transcendantale, mais comme entreprise qui porte la pensée à ses limites et s’efforce de faire l’épreuve de leur franchissement.
Le choix de cet héritage est indissociable d’une reformulation de la question du sujet. Le MAP pose cette question dans les termes d’un champ impersonnel (au sens de Sartre) où se joue une expérimentation indéfinie, et non d’une instance souveraine. Le sujet est le lieu de tensions et de rapports de forces qui le marquent d’hétéronomie ; ses structures excèdent la sphère de la conscience et de sa rationalité spécifique ; son existence est subordonnée à une contingence irréductible, ainsi qu’à une série d’institutions et de dispositifs matériels qui contribuent à sa production et à sa reproduction. Une telle approche implique une attention particulière pour les auteurs qui, de Spinoza à Deleuze & Guattari, s’emploient à théoriser une économie des affects, des pulsions ou du désir.
On distinguera trois traits de méthode communs aux recherches menées au sein du MAP, qui les identifient comme analyses philosophiques des matérialités de la politique :
1. Rendre la pensée étrangère à elle-même
L’analyse des matérialités rapporte le discours de la philosophie politique aux situations historiques ainsi qu’aux autres discours dans lesquels il se constitue et dont il est tissé : sociologie, histoire, économie, anthropologie, mais aussi droit, discours politique, militant ou clinique. Dans cette optique, le MAP privilégie le travail en commun avec les spécialistes universitaires d’autres disciplines (en sciences humaines et sociales, mais également en sciences biomédicales), ainsi que la collaboration avec les travailleurs de « terrain » (éducation, santé mentale, médecine du travail ou du sport) et les acteurs mêmes de la politique.
2. Construire une pensée critique en situation
L’analyse philosophique des matérialités de la politique renvoie les phénomènes étudiés à leurs conditions socio-historiques d’émergence et d’existence, et tente de discerner les tensions et rapports de forces qui les traversent. Elle contribue par là à l’élaboration d’une critique immanente. Par exemple, face aux manipulations du vivant, le MAP adopte une démarche qui n’est pas celle de la bioéthique mais de la « biopolitique ». Avant de prétendre arbitrer quelque conflit de valeurs, il s’agit d’identifier et de clarifier – si possible dans un dialogue avec les acteurs et usagers concernés – les rapports de force et enjeux politiques impliqués par ces nouvelles techniques biomédicales, mais aussi par la conceptualité et les discours et qui s’élaborent et circulent à leur sujet.
3. Faire une histoire « problématisante » de la philosophie
L’analyse des matérialités de la politique s’appuie sur un travail d’histoire de la philosophie, considéré comme un travail de problématisation. Il faut entendre par là à la fois une histoire qui dégage les problèmes en fonction desquels les auteurs « classiques » ont constitué leurs systèmes conceptuels, et une histoire qui fait travailler les systèmes philosophiques du passé dans les questions posées à la pensée et à l’action politique aujourd’hui (l’Etat, la dette, la technique, le ou les capitalismes, la biopolitique, etc.). Les recherches menées au sein du MAP travaillent tout autant à mettre en évidence l’hétéronomie de la pensée philosophique au regard des situations socio-historiques, qu’à interroger l’efficace des catégories et des discours philosophiques dans la définition des problèmes politiques, mais aussi dans l’élaboration et/ou dans la contestation des dispositifs de savoir-pouvoir qui concourent à la formation des subjectivités.
Divers courants philosophiques du XXème siècle, quoique radicalement hétérogènes et incompatibles à bien des égards, ont des affinités profondes avec l’analyse des matérialités : le marxisme occidental (au sens de P. Anderson, qui renvoie à une pensée matérialiste non réductionniste de l’idéologie et de la culture, initiée par Lukacs ou Gramsci), le positivisme juridique (qui, dans la lignée des travaux de Y. Thomas, privilégie l’analyse des « opérations du droit » plutôt que des système de règles), le vitalisme et la philosophie des normes (dans le sillage de Canguilhem puis Butler), la théorie critique (tels que Adorno, Horkheimer ou Benjamin l’ont pratiquée), le structuralisme (tel que Deleuze en a identifié les contours), le constructivisme (dans les versions qu’en donnent Latour et Haraway), la critique de l’économie politique (au-delà du seul champ marxiste, par exemple chez Orléan et Lordon aujourd’hui).
A travers ces courants, on identifie quelques balises historiques du MAP : la pensée de Machiavel, la philosophie de Spinoza, la pensée de Marx et des marxistes. En particulier, le MAP se situe dans le renouveau imprimé à la philosophie politique par un certain nombre d’auteurs depuis une vingtaine d’années, réactivant les enjeux conceptuels de la séquence philosophique française d’après-guerre et des années 1960 : Balibar, Badiou, Jameson, Laclau, Rancière, Zizek, Ogilvie, etc.