L’émotion collective qui a suivi les attentats terroristes de Paris ne sera salutaire que si elle n’empêche pas la réflexion sereine et rationnelle sur les causes de ces tueries abjectes: comment expliquer que des adultes socialisés en France (plus si jeunes que cela, par ailleurs), au nom de leur appartenance religieuse, puissent ôter la vie à des co-citoyens qu’ils considèrent comme des ennemis?
La question qui revient à chaque épisode terroriste est éminemment complexe et elle appelle des explications tout aussi complexes qui ne peuvent être que multifactorielles et multidisciplinaires. La difficulté est alors de pondérer les différents facteurs explicatifs conservés après avoir éliminés ceux qui ne semblent pas très pertinents.
Passons en revue les facteurs explicatifs les plus communément évoqués ces derniers jours:
Pour certains, tant le contenu textes sacrés de l’Islam que les interprétations qui en sont parfois donnés conduiraient immanquablement à la violence envers les non-musulmans , les traîtres et apostats pouvant aller jusqu’au crime. Les tenants de cette explication réfutent la distinction entre Musulmans et Islamistes radicaux, les premiers étant par nature des seconds en devenir.
Cette première explication ne me paraît pas convaincante pour au moins deux raisons. En premier lieu, faire de l’Islam une religion spécifiquement criminogène en arguant de l’existence de textes sacrés et/ou d’interprétations cautionnant la violence ne résiste pas à une approche comparée et historique des textes sacrés et de leurs interprétations, des grandes religions monothéistes. Car en effet, si ces grandes religions ont en commun de mettre en avant un idéal pacifiste, elles ont aussi en commun des textes et des interprétations qui ne sont pas exempts de violence. La spécificité de l’Islam a cet égard reste à démonter par les spécialistes de la théologie. En second lieu, si l’Islam était par nature criminogène, comment expliquer que des millions de Musulmans vivent pacifiquement dans les sociétés européennes démocratique en en partageant les valeurs ?
Certains observateurs pointent du doigt les valeurs et les caractéristiques de la culture tribale méditerranéenne pré-islamique (honneur, vengeance, susceptibilité) qui combinées à l’apport d’une religion criminogène, conduiraient à la violence terroriste. Cette explication culturaliste souffre des mêmes problèmes que toutes les approches culturalistes. Elle ne tient pas compte du changement et des dynamiques culturelles. L’impact de cette soi-disant culture tribale pré-islamique sur la jeunesse issue de l’immigration est posé mais pas prouvé. Par ailleurs, comment expliquer dans ce cadre l’engagement de jeunes européens non-issus de l’immigration et de cultures tribales dans les mouvements et le terrorisme djihadistes? Cette explication ne me semble pas âtre solide
On l’a dit et répété à l’envi, notre société continue de produire de l’exclusion et des discriminations. Les inégalités sociales et économiques sont loin de s’amenuiser. Souvent les jeunes issues de l’immigration (qui sont des citoyens et pas des immigrés!) sont exclus tant du roman national, de la communauté des citoyens. Moins encore que les autre jeunes de milieux populaires, ils n’ont accès aux ressources sociales, économiques et culturelles qui leur permettraient de monter dans les quelques ascenseurs sociaux qui fonctionnent encore péniblement. Il en résulte, chez certains d’entre eux, une grande frustration, une haine envers une société qui ne les reconnaît pas (au sens de la paternité). Une frustration et une haine qu’amplifient encore certains discours politiques et médiatiques à leur égard.
Cette frustration et cette haine conduit parfois à une désespoir, à une sens du no future , à une perte totale de sens pour des jeunes dont les vies sont perçues comme brisées à tout jamais à l’aube de l’entrée à l’âge adulte.
Certes, il n’y a pas de lien direct entre la frustration et le désespoir causés par l’exclusion et les discriminations et l’engagement dans le terrorisme. Seule une petite minorité des jeunes concernés sont susceptibles de faire le pas. Mais il s’agit là du terreau sur lequel vont parier des entrepreneurs de la haine pour recruter des combattants en leur faisant miroiter une nouvelle vie dans la quelle ils ne seraient plus des victimes d’injustices diverses mais des héros au service d’une noble cause.
Pour ce faire, ces entrepreneurs de la haine vont mobiliser toute une série de ressources un peu à la manière des recruteurs pour les sectes. Ils vont d’abord puiser dans la situation politique internationale et en particulier dans la situation au proche et au moyen orient en développant une stratégie transnationale qui vise à convaincre les jeunes musulmans d’ici qu’ils vivent la même chose et les mêmes brimades que les jeunes musulmans là bas: Paris, Bruxelles, Gaza, Syrie, même combat ! Cette stratégie donne une place importante à la théorie du complot mondial anti-musulmans
Ces idées et stratégies trouvent dans les moyen offerts par internet des possibilités de diffusion inédites et ultra rapides. La rapidité de circulation des pseudo informations et des idées est telle que la réflexion devient très difficile pour celles et ceux qui ont un esprit critique réduit et une connaissance sommaire tant des grands enjeux de politique internationale que de la religion islamique.
Par ailleurs, ont doit aussi s’interroger sur le parcours familial et le profil psychologique des jihadistes. Il semble notamment que plusieurs d’entre eux ont connu une situation familiale particulière soit étant devenus orphelins tôt ou en étant en quelque sorte très vite abandonnés par la famille. Ce type d’expérience est de nature à favoriser la déstructuration psychologique et la réceptivité à ceux qui prétendent apporter y remédier en donnant une nouvelle estime de soi à des individus désorientés et un nouveau sens à leur vie.
Clairement, le terrorisme d’aujourd’hui est le résultat d’un faisceau de causes de différentes natures. Par conséquent, les réponses doivent elles aussi être diverses. S’il est indispensable à court terme de rétablir la sécurité dans le cadre d’opérations policières fermes, les réponses sécuritaires ne suffiront pas à vaincre le terrorisme. Nous ne détenons pas les clés des grands enjeux de la politique internationale. En revanche, l’éducation et la formation, notamment à l’esprit critique, peuvent faire l’objet de politiques et de pratiques diverses tant au sein qu’en dehors de l’école. Enfin, inclure la jeunesse, quelle que soient ses origines et ses croyances dans un projet de société commun plus égalitaire, moins discriminatrice et qui assume mieux sa multiculturalité est théoriquement à notre portée. Il nous appartient de transformer l’essai rassembleur des diverses manifestations solidaires de ce dimanche. Mais il faudra du temps durant lequel il est à craindre que d’autres occasions de pleurer se présentent encore à nous.
Marco Martiniello
12/01/2015