Le 16 juillet 2013, dans le cadre de ses négociations budgétaires, une taxe de 3 euros sur les billets d’avions dans les aéroports de Charleroi et de Liège est annoncée par le gouvernement wallon. Une taxe qui devrait rapporter de l’ordre de 10 millions d’euros en 2014.
Directement, et on devait logiquement s’y attendre –comme en 2009 où une taxe fédérale de 5 euros avait été envisagée puis abandonnée-, on assistera à une levée assourdissante de boucliers du secteur aérien. Tant Jean-Jacques Cloquet à l’aéroport de Charleroi que Luc Partoune à l’aéroport de Liège font bloc : « conséquences catastrophiques pour Charleroi »((http://www.lalibre.be/actu/belgique/la-menace-de-ryanair-face-a-la-taxe-autodestructrice-wallonne-51e763e035708838488a60fe. On peut lire aussi : « Les passagers choisiront d’autres aéroports moins chers. Il serait fou que la Wallonie et Charleroi s’autodétruisent »)), « une taxe qui fragiliserait les aéroports wallons ».((http://www.rtbf.be/info/regions/detail_budget-wallon-la-taxe-billets-d-avion-fait-tousser-l-aeroport-de-charleroi?id=8049982)) Du coté des compagnies aériennes, on n’est pas en reste. Ryanair brandit la menace pour l’emploi : « Cette taxe causera la perte d’un million de passagers et la destruction d’au minimum 1000 emplois locaux à Charleroi en 2014 ».((http://www.ryanair.com/fr-be/nouvelles/ryanair-reduira-son-trafic-de-17-si-le-gouvernement-wallon-introduit-une-taxe-de-3-euro-sur-les-billets))
Invérifiable et improbable. Enfin, si. Tout le monde agite les conséquences de l’introduction de ces taxes sur les billets d’avion dans les pays limitrophes : « Une taxe par passager introduite aux Pays-Bas en 2008 a également été supprimée par le gouvernement hollandais peu après en 2009, après que cela ait couté plus d’un milliard de pertes de revenus, avec des passagers qui ont changés pour d’autres aéroports moins chers dans les pays voisins » (sic).((http://www.ryanair.com/fr-be/nouvelles/ryanair-reduira-son-trafic-de-17-si-le-gouvernement-wallon-introduit-une-taxe-de-3-euro-sur-les-billets. Avec la forme et l’orthographe « low-cost » !)) Bien, mais il y a taxe et taxe. Car aux Pays-Bas, ladite taxe était de 11,25 euros pour les vols à destination de l’UE et de 45 euros en dehors de l’UE pour les vols de plus de 2500 km (par exemple pour Agadir ou Tel Aviv).((http://in.reuters.com/article/2008/07/17/dutch-airtax-idINL1784111420080717)) Soit 4 à 15 fois la taxe wallonne…
Par ailleurs, le classement 2013 des ‘charges et taxes aéroportuaires’ réalisé sur 139 pays par le « forum économique mondial » classe la Belgique à la 55e position, l’un des pays les moins chers d’Europe de l’Ouest, loin devant les pays limitrophes que sont les Pays-Bas (97e), l’Allemagne (109e), la France (116e), et la Grande-Bretagne (139e) où ces taxes sont beaucoup plus élevées.((http://www3.weforum.org/docs/WEF_TT_Competitiveness_Report_2013.pdf, p. 436.))
Quant à la « destruction d’emplois », on peut se demander comment 10 millions d’euros de taxes coûtent 1000 jobs. Car de quels emplois parle-t-on ? Avec 10 000 euros par an, brut et charges comprises, il ne peut s’agir que d’une erreur (parlons ici de manipulation) ou d’emplois extrêmement low cost, régis par le droit du travail irlandais par exemple.
Dix semaines plus tard, le 26 septembre 2013, la taxe sur les billets d’avion est abandonnée.((http://www.rtbf.be/info/regions/detail_le-budget-wallon-se-passera-de-la-taxe-sur-les-billets-d-avion-carolos?id=8099664)) Cette marche-arrière des décideurs politiques face aux pressions d’un lobby est affligeante et donne un mauvais signal aux citoyens. D’une part, elle approuve un système économique et social qui est –en de multiples points– questionnable et indubitablement non tenable / durable (mais le maintien du ‘pouvoir d’achat’ passe par là). D’autre part, elle permet au secteur aérien de poursuivre, dans ces conditions socio-économiques déplorables, ses externalités environnementales négatives, notamment du point de vue des émissions de gaz à effet de serre qui causent le réchauffement climatique. En effet, alors que l’Europe s’est engagée à réduire ses émissions de 20% entre 1990 et 2020, le secteur aérien wallon a connu une augmentation du nombre de passagers transportés de près de 1800%, passant de 384 000 à 6 120 000 entre 1998 et 2012. Une croissance extraordinaire qui, peu ou prou, est similaire en termes d’émissions de gaz à effet de serre.
Pendant ce temps, à l’échelle internationale, le lobby aérien a également parfaitement fait son travail. Les émissions du secteur aérien ne seront soumises à aucun objectif de réduction avant 2020…
Quand on vous dit qu’il y a urgence à stabiliser nos émissions pour que la vitesse du réchauffement climatique soit gérable dans les décennies à venir…
Pierre Ozer, paru dans Le Soir 17h, 21 novembre 2013, http://jn.lesoir.be/#/article/96741