« L’entrepreneuriat durable implique un large choix de produits durables, que vous trouvez dans nos magasins. Nous vous proposons une vaste gamme de produits bio, écologiques et issus du commerce équitable à un prix qui cadre dans votre budget. Nous mettons aussi régulièrement nos produits locaux en exergue. Car acheter local, c’est acheter plus écologique. […] Tous ensemble, nous nous efforçons de limiter au maximum nos émissions de CO2. » Voici donc ce que l’on trouve sur le site internet de Carrefour Belgium. Vérification de cet engagement par l’absurde…»
Pour vous, j’ai décortiqué le folder publicitaire Spécial Noël « Nos petits prix vous mettent en appétit » de l’hypermarché Carrefour pour préparer le repas familial tant attendu. Et voici ce que j’ai pu concocter pour huit personnes avec, entre parenthèses, les kilomètres parcourus entre le pays de production et la Belgique ainsi que les kilogrammes de CO2 émis uniquement pour le transport (souvent aérien et intercontinental) de ces produits achetés. Rappelons ici que le transport aérien émet, en moyenne, 60 fois plus de CO2 que le transport par voie maritime.
D’abord, pour faire joli, faisons trôner un magnifique bouquet de vingt roses au centre de la table des grands jours. La provenance de ces magnifiques fleurs est kényane et le mode de transport est aérien (6550 km, 5,2 kg de CO2).
Le décorum bien planté, commençons donc par un velouté d’asperges aux langoustines. Le légume vert nous vient directement du Pérou par avion (10500 km, 13,4 kg de CO2) et les langoustines ont été acheminées, une fois cuites, par bateau depuis Madagascar (13000 km).
Après deux bonnes bouteilles de Chardonnay australien à la robe jaune pâle (21000 km), nous attaquons le plat de consistance. Bien décidé à offrir un mets exotique à mes chers convives, j’ai longtemps hésité entre le filet de kangourou australien (16700 km), le steak de zèbre d’Afrique du Sud (8900 km), le steak de bison canadien (5600 km) et le râble de lièvre soit disant « européen » (dans le folder) mais dont l’origine réelle –vérifiée en magasin– est l’Argentine. J’ai finalement opté pour un contre-filet de bœuf uruguayen (11200 km, 14,3 kg de CO2), accompagné de girolles des USA (9000 km, 11,5 kg de CO2) et d’haricots kényans (6550 km, 8,4 kg de CO2) venus par avion. Le tout accompagné par un Cabernet Sauvignon chilien (14000 km), une vraie merveille dont les arômes rappellent la mûre et les fruits noirs.
Arrive le dessert tant attendu. Une salade de fruits réalisée exclusivement avec les onze fruits frais en promotion à la page 79 dudit folder dont le distributeur se garde bien d’indiquer les origines. Un détour par l’hypermarché est nécessaire et assez révélateur. Il s’agit de mangues et de papayes du Brésil, de fruits de la passion du Zimbabwe, de grenades de Californie, de « baby » ananas du Costa Rica, de caramboles de Malaisie, de sharon d’Espagne, de pepino de Nouvelle-Zélande, de physalis et de grenadillo de Colombie, et de pitahaya du Vietnam. Tous les continents sont représentés dans le même récipient. Distance cumulée ? 102000 km parcourus exclusivement par avion et une facture approximative de 16 kg de CO2 émis. Là-dessus, je débouche une bouteille de mousseux blanc de Tasmanie, une île au sud de l’Australie (20600 km).
In fine, fleurs et vins compris, la distance totale parcourue par tous ces produits est de 210 000 kilomètres, plus de cinq tours du monde, avec les émissions de 68,8 kg de CO2. Cela équivaut aux émissions de CO2 d’un véhicule ordinaire parcourant la distance de 660 km, soit approximativement 25 litres de carburant fossile pour le seul transport de 8 kg de nourriture !
Pourtant, un joli bouquet de houx au centre de la table, une délicieuse soupe au potiron en entrée, un plat principal à base de produits locaux, une salade de fruits moins exotique et des vins français nous permettraient de diminuer de plus de 90 pc les émissions de CO2 dues au transport, sans réel impact sur la qualité du repas de famille.
Cela donnerait par ailleurs du sens à la stratégie « développement durable » de Carrefour où tout est mis « en œuvre pour être une entreprise durable et éthiquement responsable » : « Carrefour veut entreprendre durablement et alléger autant que possible son empreinte environnementale. C’est pourquoi la diminution des émissions de CO2 fait partie de nos priorités. » (sic). On peut lire également dans le « Rapport 2012 de l’entrepreneuriat durable » de la multinationale que « Carrefour a toujours donné priorité aux produits locaux », que le groupe « supporte la croissance de milliers de PME et de petits producteurs dans le but d’éviter les émissions de CO2 liées à l’importation de produits », qu’en Turquie et en Argentine « 100% des produits alimentaires sont nationaux », et qu’en Belgique « Carrefour fait la promotion des produits régionaux dont les producteurs se trouvent dans un rayon de 50 km autour des magasins ». Dans ce rapport, donc, pas un mot sur les produits importés par avion, que du local.
Tous ensemble, aidons le deuxième distributeur mondial à remplir ses objectifs (non contraignants) de réduction d’émission des gaz à effet de serre : -40% d’ici 2020 par rapport à 2009. Et optons pour des produits locaux auprès de toutes les possibilités offertes par ailleurs en circuit court telles que les initiatives locales de type groupement d’achat collectif (GAC) ou groupe d’achat solidaire de l’agriculture paysanne (GASAP).
Veiller à ce que nous mettons dans notre assiette fait partie des multiples petits actes citoyens que nous pouvons poser pour diminuer notre empreinte écologique et socio-économique. En cette veille de Noël, réfléchissons ensemble au sens du slogan de Carrefour : « Les prix bas, le plaisir en plus ».
Ci-dessous, quelques photographies prises le 12 décembre 2013 au Carrefour de Boncelles (Liège):
1. Girolles des Etats Unis
2. Aneth du Kenya et Menthe d’Israël
3. Oignons doux du Pérou
4. Côte de biche de Nouvelle-Zélande
5. Fruits en promotion (-15%) (sans origine)
6. Fraises en promotion (-50% à l’achat de 2 raviers) (sans origine)
7. Zoom sur les fraises en promotion : Origine: Egypte…
8. Râble de lièvre d’Argentine (et non d’Europe comme indiqué dans le folder)
JOYEUX NOEL !!!
Publié dans Marianne Edition Belge, 14 décembre 2013, pp. 44-45.
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