Publié dans La Libre Belgique (pdf) le 19 septembre 2014.

Publié dans The Lancet: Containment in Sierra Leone: the inability of a state to confront Ebola? le 25 septembre 2014.

Une version « longue » est disponible sur le site Réflexions – ULg et actualisée dans la Revue Nouvelle (17 octobre 2014).

La crise actuelle du virus Ebola en Afrique de l’Ouest qui a commencé en Guinée en décembre 2013 progresse maintenant de manière fulgurante. Ce 7 septembre, cinq pays étaient touchés: Liberia, Guinée, Sierra Leone, Nigeria et Sénégal. Le nombre de cas recensés était alors de 4293, dont 2296 ont mené au décès des malades. Près de 47% des victimes d’Ebola ont été dénombrées au cours des trois dernières semaines.

Cette épidémie est déjà la plus grave enregistrée depuis la découverte de cette fièvre hémorragique en 1976. Il est très probable que l’épidémie progresse encore dans les prochains mois tant les pays touchés n’ont pas les capacités de répondre à une telle crise. Au cœur actuel de la crise figurent des pays (Liberia, Guinée et Sierra Leone) parmi les plus désœuvrés du monde, caractérisés par un manque criant d’infrastructures, de capacités logistiques, d’expertise professionnelle et de ressources financières.

Dans un contexte de gestion de crise et de planification d’urgence, il existe deux mesures principales de protection de la population. D’une part, l’évacuation qui consiste à écarter la population d’une source de danger, d’autre part le confinement qui consiste à maintenir la population dans des endroits adaptés qui permettent aux individus de rester à l’abri durant une période déterminée. Dans le cas qui nous occupe, c’est bien d’une mesure de confinement dont il s’agit, même si elle est particulière puisqu’elle s’étend à la population totale d’un Etat, la Sierra Leone, qui compte quelques 6,2 millions d’habitants à qui les autorités imposent de rester trois jours « à la maison », du 19 au 21 septembre. Durant cette période, le gouvernement a annoncé que « 7000 équipes composées d’agents de santé, de militants de la société civile et d’un membre de la communauté feront du porte-à-porte pour détecter des cas probables de maladie d’Ebola cachés par leurs parents dans les maisons ». L’objectif étant de mettre en quarantaine les nouvelles personnes infectées par le virus et de limiter la propagation de l’épidémie.

Alors qu’a priori, le confinement semble simple à réaliser et peu coûteux, sa mise en œuvre concrète s’avère complexe pour de multiples raisons.

D’abord, comment « contraindre » au confinement la population d’un pays entier, qui s’étend sur plus de 70.000 km², alors qu’un certain nombre de services ou d’activités doivent être nécessairement maintenus ? Déjà, rendre obligatoire la mesure à l’intérieur d’un périmètre, même restreint, n’est pas évident. La mise en quarantaine du bidonville de West Point à Morovia, Liberia, qui s’est soldée fin août par des émeutes, plusieurs blessés et un mort, en est la preuve. En effet, que faire des personnes qui ne respecteraient pas la mesure ? Les autorités, sans pouvoir de répression, ne peuvent que conseiller à la population de se mettre à l’abri.

Par ailleurs, parmi les obstacles de taille, la communication joue un rôle crucial. Comment les informations seront-elles acheminées à toute la population, y compris dans les zones les plus reculées qui n’ont pas été prospectées depuis le début de l’épidémie ? La communication préalable, voire une culture du risque au sein de la population, semble conditionner en grande partie l’efficacité de la mesure. Afin que la population se confine, il est nécessaire qu’elle comprenne et accepte le pourquoi de cette mesure. Cette communication est rendue d’autant plus difficile en Sierra Leone par le fait que plus de la moitié de la population est analphabète. C’est la raison pour laquelle elle est happée par les rumeurs et que, culturellement, elle reste largement convaincue qu’Ebola est le résultat d’un acte de sorcellerie ou une punition de Dieu.

D’autre part, techniquement, la mesure de confinement est difficile à mettre en œuvre. En fonction du risque auquel on est confronté, les caractéristiques des abris seront capitales. Ainsi, dans un pays où l’accès à des infrastructures de base est loin d’être généralisé, peut-on rester trois jours confiné dans son habitation sans souffrir de problèmes de ravitaillement pour des produits de première nécessité comme l’eau ? Les questions pratiques qui peuplent le quotidien fusent et se transforment en autant de pièges qui éloignent les individus des consignes des autorités.
Ainsi, comment confiner une population rurale, vivant majoritairement de l’agriculture, en pleine période de récolte du riz ? Comment aussi confiner les éleveurs dont les troupeaux doivent paître ?
Dans un pays où 56% de la population vit au jour le jour avec moins de 1 euro, comment confiner tous ces marchands ambulants dont la nourriture du soir dépend du labeur du jour ?

L’opérationnalisation de la mesure est beaucoup plus complexe que l’on ne pourrait l’imaginer et ce non seulement pour les autorités en charge de gérer un risque diffus et de contrôler le territoire mais aussi pour les citoyens.

Notons finalement que la Sierra Leone ne dispose que de deux médecins et moins d’une ambulance pour 100.000 habitants et que le personnel soignant a déjà payé un lourd tribut en luttant contre Ebola. On peut dès lors déjà s’interroger sur les effectifs réellement disponibles sur le terrain. Car pendant ce temps, les autres maladies et les accouchements ne s’arrêteront pas. Puis, simplement, les autorités disposent-elles de dizaines de milliers d’équipements de protection?

En conclusion, à l’épreuve de la pratique, cette mesure de confinement à une échelle unique soulèvera énormément de questions. Réussir un confinement tel que celui ordonné par les autorités de la Sierra Leone demande de disposer de ressources et de moyens de contrôle qui ne peuvent être réunis en suffisance. La fonction première de cette mesure ne serait-elle pas avant tout un message politique afin de rassurer ? Rassurer la population du pays en lui donnant l’illusion que l’autorité a la capacité de maîtriser une crise majeure. Mais rassurer également la communauté internationale. La formation et la pérennité de l’Etat reposent surtout sur ses capacités à maîtriser les risques qui menacent la collectivité ou les individus qui en font partie.

Ceci étant dit, dans un pays où la défiance de la population envers le pouvoir est largement répandue, les autorités risquent gros dans cette entreprise. En effet, la perception de la population sierra léonaise pourrait être que – après cette période de trois jours de confinement – la situation est ‘sous contrôle’ et nombreux sont ceux qui pourraient alors penser que la ‘crise Ebola’ est derrière eux. Or, la période d’incubation du virus varie de 2 à 21 jours. Il est donc essentiel qu’une communication claire, directe et globale accompagne cette campagne inédite. Du reste, il est très peu probable que la région affectée parvienne seule, par l’application de cette mesure, à juguler l’épidémie. Une aide internationale massive est indispensable et réclamée depuis des mois mais force est de constater qu’elle fait cruellement défaut sur le terrain…

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