A peine Saint-Nicolas venait-il de passer dans leurs petits souliers que nos enfants nous ont demandés « On pourra faire un bonhomme de neige à Noël ? ». On peut comprendre leur inquiétude : l’an dernier, ils n’ont pas eu de quoi faire une seule boule de neige…
Nous avons tous, gravées en mémoire, ces images pures et romantiques d’un Noël blanc. Hélas, c’est avec tristesse que nous devons constater que l’intensité et la durée des périodes enneigées sous nos latitudes diminuent. Cela vient notamment d’être rappelé lors de la dernière réunion du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’étude du climat (GIEC) qui s’est réuni à Valence en novembre.
La faute à qui ? Essentiellement à nous, les humains, qui, en consommant massivement le pétrole et autres combustibles fossiles, émettons dans l’atmosphère plus de gaz à effet de serre que les forêts et les océans peuvent naturellement absorber. La discussion qui est en cours à Bali sous l’égide des Nations unies vise à engager l’ensemble des pays de notre planète bleue à réduire ces émissions. A ce titre, la Chine est souvent pointée comme le « vilain canard », rechignant à s’engager dans des efforts qui contraindraient leur incroyable développement économique actuel.
Récemment, nous avons pu lire ou entendre dans les médias, les propos de certains de nos dirigeants politiques se demandant pourquoi notre petite Belgique devrait faire des efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (sous entendu diminuer notre consommation de pétrole, de gaz et de charbon), alors que la Chine est en passe de devenir le premier émetteur mondial.
Ceci appelle deux remarques :
Premièrement, pourquoi attendre pour économiser, chez nous, les énergies fossiles devenues de plus en plus rares et de plus en plus ruineuses ? Pourquoi ne pas viser à s’en affranchir au maximum, ici et maintenant, par des mesures structurelles visant à réduire la vulnérabilité économique et énergétique de notre société ? Si tout le monde se met à attendre tout le monde, la planète, elle, n’attendra pas : son état est déjà extrêmement critique.
Deuxièmement, si nous examinons les émissions annuelles par habitant, il n’y a pas photo : avec ses 15 bonnes tonnes de CO2-équivalent, un Belge rejette dans l’atmosphère près de quatre fois plus de gaz à effet de serre qu’un Chinois. Mais, il est vrai que les Chinois sont un peu plus nombreux…
Alors, quid du péril jaune ? Il est clair que le marché chinois, s’il continue à se développer sans exigences environnementales, représente une bombe climatique à retardement. Mais rappelons que nous avons un siècle de pollution d’avance sur la Chine et que nous ne sommes pas étrangers à sa croissance actuelle.
Pour s’en convaincre, examinons avec la plus grande attention un catalogue des cadeaux de Noël proposés par un de nos supermarchés. Le volumineux folder imprimé sur un luxueux papier glacé est alléchant et titre d’emblée « Merveilleux Noël et joyeux petits prix ». Mais qu’y trouve-t-on exactement ? Pêle-mêle : un réveil lumière, un ramasse-miettes électrique, une machine à cappuccino « full automatique », un frigo américain, une perceuse sans fil, un « massager design », un Père Noël lumineux, un sèche-cheveux lisseur et un thalasso pieds. Soit, exception faite du repasse-limaces, peu ou prou les mêmes choses que chantait Boris Vian dans « La complainte du progrès » il y a plus d’un demi-siècle.
Nous avons analysé la provenance de ces produits de « première nécessité ». Il appert que le fameux label « Made in China » représente un peu plus de 80 pc des produits proposés. Le reste provenant, à parts égales, d’Asie du Sud-Est et d’Europe. Et de Belgique, nous direz-vous ? Rien, sinon (peut-être) le luxueux folder…
Nous savons que les conditions de travail des ouvriers Chinois sont misérables et que le coût environnemental résultant du transport de ces marchandises est important, mais tout est bon, visiblement, pour justifier de « joyeux petits prix ».
La question centrale qui se pose n’est pas, en tant que consommateurs, de refuser les échanges économiques avec la Chine, l’alternative étant devenue inexistante et le pouvoir de décision (politique, économique) du citoyen dès lors infime. Mais, en cette période de Noël, nous nous devons d’être lucides et de réfléchir solidement à l’avenir que nos choix de consommation nous préparent.
Pierre Ozer et Dominique Perrin, Le Soir, 13 décembre 2007.