Chronique du 23 janvier 2012, RTBF/La Première
Un éditeur, en Allemagne, a trouvé un filon pour se faire du fric, et en tout cas un coup de pub magistral : rééditer Mein Kampf d’Hitler, sous forme de brochures hebdomadaires, un peu comme un feuilleton. Et il a fait cette annonce à l’occasion du 70e anniversaire de la Conférence de Wannsee qui a orchestré, comme on le sait, la Solution finale. Donc, sur le plan marketing, on ne peut dire que bravo !
Ce qui est amusant, c’est comment cet éditeur justifie son initiative. Il ne manque pas d’air : il explique qu’il veut démystifier Mein Kampf, montrer que ce n’est pas un livre diabolique mais « un livre de piètre qualité et confus issu d’une pensée complètement tordue ».
C’est bien la première fois que je vois un éditeur expliquer qu’il édite un livre parce qu’il est mauvais, parce que son auteur est confus et tordu ! Le fond de l’affaire, évidemment, c’est le profit. Mein Kampf a été vendu à plus de 80 millions d’exemplaires, dont 70 millions depuis 1945.
Notre éditeur a vite fait ses comptes : la prose du Führer fait fureur, et ça peut lui rapporter gros.
Evidemment, tollé en Allemagne, où le livre est interdit depuis la fin de la guerre. C’est le Land de Bavière qui gère le patrimoine d’Hitler, avant qu’il ne tombe dans le domaine public en 2016, en évitant autant que possible tout culte de la personnalité d’Hitler.
C’est pourquoi le ministre en charge du dossier est bien décidé à empêcher cette publication des extraits de Mein Kampf.
Il n’empêche que la polémique fait rage. Faut-il publier Mein Kampf, au nom de la liberté d’expression ? Ou l’interdire, au nom de la lutte contre la haine raciale ?
Polémique dépassée dans les faits car, dans la plupart des pays du monde y compris en Europe, Mein Kampf est en vente libre. Sur Internet, vous avez accès au texte intégral en 3 clics. Il y a aussi des éditions rares, à 50 000 euros l’exemplaire. Et même une version en braille. Bref, interdire Mein Kampf aujourd’hui, c’est donc plus de l’ordre du symbolique qu’autre chose.
Qu’en est-il en Belgique ? C’est un peu compliqué. La loi interdit de commercialiser de façon ostensible un livre –comme Mein Kampf-, une image ou un objet nazi, parce que c’est alors considéré comme de l’incitation à la haine ou du négationnisme.
Par contre, si vous êtes antiquaire, collectionneur ou historien ; bref si vous êtes un « professionnel » et que vous ne faites pas la publicité de ces articles, vous ne risquez rien.
Pas simple. La meilleure solution, pour moi, c’est celle de la France. Depuis un jugement de 2009, la vente de Mein Kampf est autorisée, à condition que le texte soit assorti d’une préface de 8 pages minimum donnant un cadre historique et mettant le lecteur en garde sur les lois réprimant l’incitation à la haine.
Solution équilibrée qui préserve la liberté d’expression tout en imposant un minimum de distance critique et de pédagogie.
Mais ce que beaucoup ne comprennent pas, c’est pourquoi on limite la vente des croix gammées ou des ouvrages d’Hitler, et non celle du petit Livre Rouge de Mao ou des discours de Khomeiny.
La réponse est évidente et en même temps inquiétante : Mein Kampf a mené à la tentative d’extermination de tout un peuple. Ce bouquin débile, intellectuellement nul, a traumatisé l’Europe entière.
C’est un livre qui tue et qui reste la référence absolue pour tous les agités du bocal comme Breivik. En limiter autant que possible la diffusion est donc légitime.
Mais justement, c’est cela aussi qui est inquiétant. Si, plus de 80 ans après sa rédaction, Mein Kampf continue à nous menacer, à faire peur, si nous continuons à nous demander s’il faut l’interdire ou non, c’est que nous n’en avons pas fini avec nos démons.