Chronique du 25 juin 2012, La Première/RTBF
Il s’agissait de ma toute dernière chronique sur les ondes de « La Première ».
En fait, faire une chronique régulière à la radio, c’est comme faire la cuisine tous les jours : le plus difficile, c’est d’avoir l’idée de nouvelles saveurs qui vont plaire à vos proches. Mais une fois que vous avez trouvé, faire les courses et exécuter la recette, c’est tout de suite plus facile.
C’est pareil pour une chronique : 80% du job, c’est d’avoir une petite illumination. Trouver une info étonnante, sortir des sentiers battus, parler de ce dont on ne parle pas d’habitude. Voilà ce qui me taraude tous les dimanches: ce dont les médias ne parlent pas. Hier soir, je me suis demandé : au fond, depuis 3 ans que je fais cette chronique, de quoi n’ai-je pas parlé ? Quel sujet, quel thème est-ce que j’ai bien pu rater, oublier, négliger ? J’ai fait 120, 130 chroniques, sur la crise institutionnelle, l’Eglise, la dette, DSK, l’école, la racisme, le slip rouge d’Elio Di Rupo, Fukushima, le football, Dutroux, Obama, les prisons, le prix Nobel, le Prince Laurent ( le prix Nobel et le Prince Laurent, ce sont 2 sujets différents), les J.O., le Printemps arabe, les impôts, Gaza, la faim dans le monde, etc.
Et puis, je me suis rendu compte qu’il y avait, en effet, un sujet massif, tragique, un des plus importants de ces dix dernières années, dont je n’ai jamais parlé : c’est une guerre, une des plus meurtrières, celle qui se déroule, aujourd’hui encore, à l’est du Congo. Une guerre qui a fait plus des millions de morts (4 millions, dit-on …), dans l’indifférence générale de la communauté internationale.
Pourquoi n’ai jamais eu l’occasion d’en parler, je ne sais pas. Peut-être justement parce que ce qui rend cette guerre effroyable, c’est non seulement qu’elle ait fait tant de victimes, mais aussi qu’elle ne suscite aucune indignation planétaire, alors que nous avons tous les yeux rivés (à juste titre) sur la Syrie, par exemple. Il y a certainement d’autres guerres, d’autres drames dont je n’ai jamais parlé.
Mais justement, c’est ça la question : qu’est-ce qui fait qu’un événement se trouve à l’agenda, tandis qu’un autre est enfoui, refoulé ? Qu’est-ce qui fait que des acteurs de l’Histoire n’apparaissent jamais dans la lumière, n’ont même pas de visage ? Un philosophe allemand de l’entre-deux guerres, Walter Benjamin, disait qu’il fallait regarder l’Histoire non pas du point de vue des vainqueurs, mais du point de vue des vaincus. Renverser la perspective : ne pas chercher les succès, les héros, le progrès, mais écrire l’histoire des vaincus.
Mais justement, ce qui caractérise les vaincus, c’est qu’ils n’ont pas d’histoire. Ils vivent et meurent sans laisser de trace, sans témoins. Il faut donc tourner le décor, ne pas repasser les plats, penser autrement. C’est que les médias, il faut bien le dire, la plupart du temps, ne savent pas faire. Nous sommes inondés d’informations transmises par les vainqueurs ; le public lui-même plébiscite les belles histoires qui finissent bien.
Alors, forcément, on lui donne ce qu’il demande. Et puis parfois, on regarde de côté, on prend un peu de temps. Un peu de recul aussi. On délaisse la recette qu’on fait toujours, et on goûte quelque chose de nouveau, doux ou amer. On prend le temps de penser autrement. Eh bien, l’été, il est justement propice pour penser autrement, alors bonnes vacances, Marie-Laure.