Texte sur le documentaire musical « Aria Tammorra », 2010.

Les sociologues et les historiens des migrations le savent bien : tôt ou tard, nombre de descendants de migrants et de personnes déplacées ressentent le besoin de comprendre la raison de leur présence ici et maintenant en retournant à la source, à l’origine du grand voyage que firent leurs ancêtres. C’est vrai des descendants d’esclaves africains aux Etats-Unis qui « retournent » en Afrique pour d’où leurs ancêtres sont venus. C’est vrai de nombreux enfants adoptés en Asie ou ailleurs. C’est vrai ici d’Andrea Gagliardi, fils d’un travailleur immigré de Campanie, lorsqu’il a décidé après une longue période de rupture de renouer avec la terre du son père. Le film d’Andrea Gagliardi met en scène avec sensibilité cette quête identitaire d’un « vieux » de la seconde génération italienne en Wallonie.

Mais au-delà, ce documentaire est un hommage vibrant non seulement au paysan qu’était son père, mais aussi à toute cette génération oubliée des pionniers de l’immigration italienne d’après-guerre qui ont quitté leur campagne natale pour devenir des ouvriers dans l’industrie Belge. Andrea nous montre que ces femmes et hommes peu ou pas scolarisés dont on appréciait que la force musculaire, provenaient de régions riches de traditions et de culture, à défaut de ressources matérielles. Les chants et la musique dont parle ce film notamment sont d’une richesse et d’une sensibilité impressionnantes. Les musicologues le savant aussi depuis longtemps.

Le film est aussi une réflexion sur la rencontre conflictuelle entre modernité et tradition en ce début de troisième millénaire et sur la culture comme arme de résistance de communautés rurales ménacées par l’urbanisation désorganisée et ces fléaux. En effet, ces communautés rurales de l’hinterland napolitain vésuvien filmées par Andrea sont en lutte pour sinon leur survie, du moins pour tenter de transmettre une partie de leur héritage culturel aux générations suivantes. Ces paysans savent qu’ils appartiennent au passé et que les choses se seront jamais plus comme avant. Pour preuve, un des sujet du film demande à Andrea d’écrire sous son nom, « espèce en voie d’extinction ». Toutefois, ils sont fiers de leur richesse de leur culture et de l’importance de la laisser en héritage à leurs enfants et leurs petits-enfants afin qu’ils se ne soient pas déracinés sur leur propre terre.

Cela dit, le film de verse pas dans la célébration naïve, voire rétrograde des terroirs et des traditions. Il montre en toute simplicité et avec une grande humanité des personnages chaleureux, aimables et doués qui revendiquent leur droit à vivre en harmonie avec leur terre dans une des régions les plus dégradées d’Italie.

Évidemment, les 48 minutes du film n’autorisent pas à présenter toute la diversité et les contradictions culturelles et sociales de la région. Il illustre bien toutefois qu’au départ d’une réflexion introspective, on peut produire un outil pédagogique de haute qualité à la fois pour les personnes qui s’intéressent aux migrations, pour celles qui étudient les musiques et les cultures populaires et pour celles qui s’interrogent sur la place de la culture dans la résistance face au rouleau compresseur de la mondialisation.

 

3 décembre 2010

 

 

 

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